"Pour réaliser mon plan, pour faire sortir le monde de ses gonds, je n'avais besoin, comme Archimède, que d'un seul point fixe. Je ne demandais plus aucun honneur, aucune influence chez les maîtres de ce monde. Il me fallait seulement un château fortifié et les moyens de le modifier à ma guise."
Une magnifique photo du rocher d'Alamut par Babak Tafreshi, The Starry Night of Alamut
A Alamut, chaque croyant de l’ismaélisme est devenu un soldat bien trempé et chaque soldat est en même temps le plus fervent des croyants. Parmi toutes ses mesures, Hassan considère que la plus importante est la création de l’école des « fedayin ». Une troupe d’élite qui sera prête à tous les sacrifices. On suit leur enseignement allant des mathématiques à la littérature, leur catéchisme, et leurs épreuves sportives et militaires où ils feront preuve de dépassement de soi. Mais la clef d’achoppement du plan d’Hassan se cache à l’abri des regards, un endroit où de jeunes femmes - et quelques eunuques qui prennent soin de leurs besoins - remplissent une grande partie de leur journée à un certain nombre de leçon, de joutes poétiques, et d'autres passe-temps artistiques : la vie leur est presque idyllique.
Au premier tiers du livre, on commence à comprendre petit à petit les rouages de ce plan machiavélique sans pouvoir encore toucher à l’essence, et aux buts de l’organisation. Quand la machine se met en branle, il est difficile de lâcher le roman au cours des intenses premiers combats entre les armées, ou des ruses et des manipulations successives d’Hassan. Avec une intelligence inquiétante et une détermination extraordinaire, il tire profit des facteurs prévisibles et imprévisibles qui participent à la réalisation de son plan.
Au fil des chapitres, on se rapproche un peu plus vers les raisons profondes qui animent Hassan. Son but élevé a rapport à des vérités essentielles, mais mystérieuses qu’il cherche à résoudre avec la sagesse du philosophe, lui qui a consacré le reste de sa vie à la science et à l’exploration de la nature. Il se sacrifie à cet objectif et le moyen de parvenir à rallier les foules à sa cause ne lui pose pas un cas de conscience. Car, pour lui, la masse a toujours préféré un mensonge qui affirme quelque chose de solide à un savoir, même sublime, qui ne leur offre pas de prise ferme.
« … je partage l’humanité en deux catégories fondamentalement différentes : une poignée de gens qui savent ce qu’il en est des réalités et l’énorme majorité qui ne sait pas. »
Cette légende d’Alamut est une sorte d'allégorie politique intemporelle sur la manipulation des masses (et sur les bases des stratégies de consentement, religieuses ou non). Avec son atmosphère colorée et attrayante, avec une bonne dose d'aventure et d'intrigue romanesque, de réflexions politiques et philosophiques, Vladimir
Bartol
offre un roman aux accents merveilleux. Je referme ce livre en ayant pris la mesure d’une entreprise effroyable qui prend fin au terme d’une aventure palpitante.« ... un projet gigantesque et grandiose comme le monde n’en avait jamais vu. Eprouver l’aveuglement humain jusqu’à ses limites extrêmes ! Atteindre ainsi la plus haute puissance et l’indépendance totale ! Incarner le conte ! Transformer la fable en réalité pour que l’Histoire en parle plus tard ! »