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Il y a quelque chose du poème obscur dans Angel Doll, dans le sens ésotérique du terme comme dans le sens gothique. À vrai dire, c’est un des rares cas où les images complimentent aussi joliment les mots : d’habitude, on peut voir dans une BD un certain décalage entre les qualités de narration et la partie artistique, surtout quand l’une et l’autre de ces parties du tout proviennent de différentes personnes – pour faire bref, je dirais qu’il s’avère souvent difficile de trouver un talent à la hauteur du sien dans sa propre matière. Car ici, art et narration ne se complimentent pas seulement, ils se complètent et s’épaulent, chaque facette donnant à l’autre ce qui lui manque.
C’est une œuvre d’Art au sens strict du terme, dont des illustrations entières pourraient servir de tableau, et des tirades de poèmes. Mais sur le plan narratif, pourtant, chacune de ces parties perd son sens aussitôt qu’elle se voit séparée de l’autre – c’est le signe très net d’une œuvre qui exploite au mieux les moyens du média choisi par ses auteurs, ici la narration graphique : il n’y a rien de plus agaçant que ces BD coupables de redondance, c’est-à-dire quand le contenu de l’image se voit repris dans le texte, ou inversement ; les véritables conteurs sur ce média, eux, savent utiliser les images et le texte pour exprimer deux choses à la fois.
Technique narrative que du reste on trouve peu dans les productions asiatiques, ce qui étonne assez : en dépit d’une pluralité et d’une diversité de thèmes et d’idées, les méthodes de narration des auteurs de ce continent demeurent souvent bien classiques – et si j’osais, je dirais « traditionnelles » : comme si les directives fondatrices du « Dieu des mangas » ne pouvaient en aucun cas se voir contestées. Angel Doll s’en écarte pourtant, et avec un certain brio d’ailleurs, même si le style littéraire des textes combiné à ces graphismes hors norme rend parfois les choses un peu difficiles à suivre : pour cette raison, il sera bienvenu de relire l’ouvrage, et plusieurs fois si nécessaire…
C’est une des raisons derrière l’obscurité du récit que j’évoquais plus haut. Pour le reste, celle-ci tient bien sûr au thème d’une espèce de course-poursuite à travers l’espace mais aussi le temps, et peut-être même les plans d’existence également, afin de porter secours à une entité prodigieusement ancienne. Quant à la partie graphique, elle rappelle beaucoup les premiers travaux d’Hans Ruedi Giger mais ici réinterprétés à travers une sensibilité tout à fait personnelle où les accents asiatiques originels se voient dépouillés de leur patte traditionnelle par des touches modernes plus que salvatrices et qui contribuent beaucoup à accorder les images aux lettres.
Sur le fond, par contre, le résultat reste plus mitigé et le propos des auteurs se montre difficile à saisir. À vrai dire, on se demande s’il y a quelque chose à comprendre en dehors d’une simple – mais immensément respectable – volonté de distraire. On regrette malgré tout qu’autant de talent, tant littéraire qu’artistique, ne parvienne pas à se combiner en un tout aux fondations plus solides…
Il reste néanmoins un ouvrage bien assez unique sous les aspects principaux du média, les narratifs et artistiques, qui offre ainsi un voyage sans pareil dans les méandres d’inspirations pour le moins hors du commun et dont on attend l’œuvre prochaine avec impatience.