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Dans cet univers décrépi et rouillé, au carrefour de Mad Max et de Ghost in the Shell (le manga de Masamune Shirow et non son adaptation en film par Mamoru Oshii), la nature humaine elle-même est remise en question à travers l’utilisation généralisée de corps artificiels à la fois plus forts, plus rapides et plus résistants que leur équivalent naturel : un élément essentiel dans ce monde de fureur et de sang où règne la loi du plus fort, du plus habile, du plus rusé – comme une sorte de Far West futuriste où la notion d’ordre social ne tient plus qu’à un fil. En parfait miroir qu’il est de cette civilisation de cauchemar, le Motor Ball sert donc, entre autres, d’exutoire à une population sans cesse aux abois et qui trouve dans la violence du stade un écho de son quotidien.
On retrouve dans ce one shot assez court – quatre chapitres, pas plus – la plupart des trait communs du monde du sport professionnel – devenu une des industries les plus lucratives de la planète, comme chacun le sait – c’est-à-dire un sujet de fiction encore assez original à l’époque où ce manga fut publié au Japon. Ici, Kishiro exploite les excès d’un monde où le compétiteur lui-même n’est plus que prétexte à profits, à travers les exigences d’un public en mal d’idoles et la généralisation des techniques de dopage – souvent à l’insu des concurrents – et où la compétition ne se fait pas que sur le stade mais aussi dans les coulisses – entre des acteurs en costard-cravate qui se prêtent à d’autres jeux mais dont les règles restent floues, sciemment.
Aussi le trait, ici assez surprenant de la part d’un auteur qui ne nous avait pas habitué à un tel graphisme, ce trait se trouve néanmoins en parfaite adéquation avec le récit et son ambiance de lourdeur grinçante. Si on sent bien une influence de Frank Miller sous ces aplats tout en noir et blanc, et précisément celui de Sin City plus que de Ronin ou de Dark Knight, il faut pourtant moins y voir un « vol » qu’un hommage à ces comics qui ont eu une influence fondamentale sur l’ensemble de la culture manga d’après-guerre (1) ; après tout, ce n’est jamais que le second élément américain derrière cette œuvre précise – après les deux film cités plus haut.
Reste le scénario : s’il est plutôt sommaire, il a au moins le mérite de ne pas s’éparpiller – que ce soit dans des intrigues secondaires ou des détails inutiles – tout en abordant néanmoins des idées de nos jours assez répandues chez le grand public mais à l’époque encore assez discrètes dans le monde de la narration graphique – comme je l’évoquais deux paragraphes plus tôt. On apprécie en tous cas l’ambiance « polar » du récit qui correspond très bien à son univers de métal et de chair mêlés – les deux se trouvant autant à bout de souffle l’un que l’autre – et notamment à travers un personnage principal dont les cicatrices en surprendront certainement plus d’un…
Entre sa facture inhabituelle et ses idées très actuelles, Ashman fait partie de ces œuvres qui méritent le détour, au moins pour découvrir une facette peu connue d’un artiste dont la réputation n’est plus à faire et qui a su demeurer une valeur sûre depuis longtemps.
(1) et cette dernière le leur a bien rendu : voir à ce sujet les dernières adaptations en animes ou en manga de personnages de comics, telles que Snikt! de Tsutomu Nihei ou Batman: Gotham Knight, parmi d’autres…