On s’est interrogé récemment sur ce forum, sur l’intérêt de la fantasy, sur sa capacité à se renouveler, ou plutôt hélas à ne pas se renouveler. Au milieu du labyrinthe des BDs d’héroic-fantasy à la française, généralement laides, idiotes et douteuses (machistes et réactionnaires souvent), il y a une perle venue d’Amérique. Un comics de Fantasy en Noir & Blanc absolument poétique, touchant, drôle et pourtant terriblement épique. L’Aventure qui est l’enjeu central de la Fantasy, bien trop souvent est codifié de passages obligés, de clichés pénibles probablement hérités, bien malgré lui, de Tolkien, ou plutôt du jeu de rôle Donjons & Dragons, dont l’influence sur la fantasy, et plus précisément sur la Bd est essentiel. Ce jeu (que j’ai adoré) sans en avoir l’air (et peu de créateurs l’avoueront) a forgé un imaginaire certes caricatural, mais à la puissance onirique certaine ; beaucoup d’auteurs ne s’en sont hélas pas affranchis. Jeff smith, l’auteur de Bone, est probablement un accroc du jeu, et du livre (« Le Seigneur des Anneaux ») ; mais il vient aussi du dessin animé, du burlesque. Et il a réussi à tirer un autre univers de ces mondes codifiés : le sien, un mélange entre Casper le fantôme, Cendrillon, Peanuts et Tolkien ; dont l’influence pour un anglo-saxon est d’autant plus grande qu’elle découle d’une tradition nordique très ancienne et très riche. Autre influence de Smith, les comics indépendants, auto-édités, qui l’inciteront à publier lui-même sa grande Saga « nordique », aujourd’hui disponible chez Delcourt. (Une influence majeure visiblement, découverte récente pour moi, Cerebrus, série que je compte bien lire un jour).
Bone et ses cousins, espèce de gnomes à gros nez, au physique de Casper justement, sont contraints à l’exil et se perdent dans une vallée étrange, hantée par un Dragon lymphatique, et protecteur du jeune Bone. Ici, les grands-mères y font la course avec des vaches, la neige y tombe en 1 seconde en un gros bloc, les bourdons y sont géants et les Rats-garous, monstres idiots, y rêvent de quiche. Pourtant, l’Aventure (des Sorciers, des Dragons, des batailles) va naître dans cet univers bucolique et burlesque, en prenant son temps, lentement mais avec encore plus d’efficacité, car on en sait l’enjeu : on connaît et on aime ces gens et cette vallée que le Mal va bientôt menacer.
L’intrigue proprement dite, qui court sur 11 tomes d’environ 150 pages, n’est pas sans faiblesses ni incohérences, mais elle est prenante et virevoltante. L’essentiel de cette saga est vraiment la cohérence et l’originalité de l’univers décrit. Et des personnages très attachants. Et un Noir et blanc, en aplat, très fort. Et un humour charmant.
Preuve est faite avec Bone, que la fantasy peut se renouveler, qu’elle peut surprendre et s’affranchir de ses lourdeurs. A découvrir vraiment. Apparemment il existerait maintenant une version couleur (voir la planche) mais il vaut mieux préférer la version Noir & Blanc, absolument pas un obstacle à la lecture.