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kgb203

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Bref rapport sur une très fugitive beauté

Jérôme Leroy


Bref rapport sur une très fugitive beauté
Illustration : Cynthia Pringle
Première parution : janvier 2002

 Pour la présente édition :

Editeur : Les Belles Lettres
Collection : Le grand cabinet noir
Date de parution : janvier 2002
ISBN : 2-251-77163-8

Ce livre est noté   (5/5 pour 1 évaluations)


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La critique du livre
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«La Rouge est le fruit de notre lâcheté, de nos renoncements et de ce monde inhumain que nous avons pourtant contribué, toi, moi, et tant d'autres, à défendre les armes à la main en oubliant trop souvent que nous étions les cache-sexe d'un système monstrueux. En même temps, ce fut cela notre gloire et je ne regrette rien, non, rien de rien.»

Imaginez-vous un instant, soudainement projeté sur une route à l'asphalte chauffé à blanc, mince ruban noir se perdant dans un horizon rendu incertain par l'air surchauffé qui s'élève paresseusement au dessus du bitume... Ce pourrait être le cadre idéal pour apprécier pleinement la lecture de ce «Bref rapport sur une très fugitive beauté», récit se déroulant en l'espace d'une journée, dans une ville de ce qui fut autrefois la France, quelque part dans un monde en déliquescence que ponctuent quotidiennement des émeutes de l'eau dans les banlieues livrées aux laissés pour compte. Car dès le matin la chaleur se fait insupportable, parce que l'eau potable est devenue une denrée rare et précieuse et que les destructions engendrées par le chaos climatique et la montée du niveau de la mer n'ont rien arrangé. Dans cet avenir proche et terrifiant, Jérôme

Leroy

met en scène quelques personnages un peu atypiques : Canche, un flic de la police fédérale européenne, traquant sans relâche l'Ecorcheur, insaisissable tueur en série dont les victimes saignées à blanc puis dépecées se comptent par dizaines ; Raphaël Villars, écrivain mineur mais pamphlétaire, rêveur d'un autre siècle, proie d'un tueur acharné depuis que son dernier roman a attiré les foudres du grand prêtre de la secte des survivants des derniers jours ; quelques jeunes hommes et femmes enfin, qui, rassemblés dans le jardin d'une riche propriété, tentent d'oublier dans l'orgie la vacuité de cette société inconséquente. Ces personnages vont vivre une fin du monde terrifiante dans cette ville autour de laquelle a été mis en place un cordon sanitaire depuis que s'y est déclarée une étrange et dévastatrice infection : la Rouge, ainsi surnommée car elle tue ses malheureuses victimes en quelques secondes à coup d'hémorragie externe accompagnée d'atroces convulsions. Une infection pandémique, parasite et mauvaise conscience d'une humanité à la dérive, que rien ne semble jamais pouvoir arrêter et qui se joue de la bêtise humaine. Dans ce huis-clos étouffant, leurs destins vont se croiser et s'entremêler, sous le regard acerbe et cynique du Virus...

L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn

«Bref rapport sur une très fugitive beauté» est un roman coup de poing, brutal, noir comme la rubrique nécrologique d'une humanité sans cause et donc sans avenir. Des outers gavés de nourriture synthétique et crevant de soif, la gueule ouverte, dans un monde ravagé par les conséquences pourtant prévisibles de l'effet de serre. Des nantis plongés dans leurs plaisirs virtuels, mécaniques et sans lendemain, au cœur de quartiers résidentiels surprotégés, truffés de sécurités électroniques et de gardes privés armés jusqu'aux dents. Une Europe tentaculaire, consumériste et faussement puritaine, s'étendant de l'Atlantique à la Baltique, dans laquelle les anciennes nations se sont dissoutes en une multitude d'eurorégions disparates. Voilà, entre autres, ce que nous propose sur fond d'apocalypse Jérôme

Leroy

, qui passe à cette occasion la politique européenne au papier de verre : car «Bref rapport...» est un pamphlet à l'encontre d'une société de consommation à l'emprise effrénée, un mordant réquisitoire contre l'uniformisation des esprits et le nivellement de la culture dans un monde occidental globalisé, régi par des multinationales sans autre loi que celle du profit et des Etats géants étouffant l'individu : un requiem dirigé de main de maître, dans un récit sans concession, qu'un humanisme sous-jacent, deviné en filigrane au travers de certains personnages, vient encore étayer. Une chose est sûre dans ce «Bref rapport» : quelque soient les idées politiques du lecteur, que l'on adhère ou pas à ce portrait vitriolé d'une future Europe sans visage et sans âme, déshumanisée, de la part d'un Jérôme

Leroy

que l'on devine empreint d'une certaine nostalgie, cette fiction politique chronique d'un monde à l'agonie donne matière à réflexion : n'est-ce pas là, après tout, le dénominateur commun de toutes les oeuvres engagées ?

Quelques extraits...

« Ce serait un temps à se baigner, tu ne trouves pas ? dit Defoe.
- T'as une plage à proposer, où je ne risque pas de laisser ma peau en piquant une tête dans les vagues ?
- La plus proche ?... En Islande, non ?
Les deux agents spéciaux rigolèrent pour ne pas pleurer. Et, à nouveau, des images de Royan revinrent à la mémoire de Canche. Le phare de Cordouan qui ressemblait à un rivet unissant le bleu de la mer à celui du ciel, les jeunes filles en robe légère sur la promenade de Pontaillac, la lecture de Drôle de jeu, la très subtile odeur de pamplemousse, caractéristique, de l'Entre-Deux-Mers.
J'ai quoi... pensa Canche, à peine vingt ans de plus que Defoe. Et j'aurai connu une douceur de vivre dont il n'a même pas idée. Pas la moindre... De toute manière, qui n'a pas vécu avant la fédération n'a pas connu la douceur de vivre. »


«Il est vrai que parfois une angoisse inédite vous saisit, au détour d'un rayon, alors que vous achetez une paire de chaussures de sport dont l'étiquette menteuse vous assure qu'elles n'ont pas été fabriquées hors des frontières de la Fédération, ce qui supposerait certaines garanties sociales et écologiques, et qu'en les mettant aux pieds, non seulement vous améliorerez vos performances (vous aimez ce mot, n'est-ce pas ?) mais accomplirez également un acte de consommateur citoyen (vous aimez encore plus ce mot, n'est-ce pas ?).
Oui, une étrange angoisse, un vide, une baisse de tension qui se manifestent par un léger mais persistant mal de tête, une sensation de moiteur sur les paumes, un nœud dans la région du plexus solaire parfois même quelques contractions abdominales. Vous chassez cela d'un revers de la main. Vous tentez de vous intéresser à ce que dit votre femme, votre mari, votre amant, votre maîtresse, mais cela ne passe pas.
Les plus cultivés d'entre vous se rappellent vaguement un malaise relativement similaire décrit en termes précis par un philosophe français à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; ceux qui ont encore une tradition vont justement dans ces photomatons métaphysiques se confesser devant un écran qui numérisera une éphémère absolution et les autres, eh bien, les autres se disent que ça va passer, que c'est à cause de la boîte qui décrute, de la fécondation in-vitro qui n'a pas pris, de cette petite fille cyberautiste dont vous craignez toujours qu'elle ne se mette à hurler en bavant au moment où vous passez aux caisses.
Alors, comme vous transpirez de plus en plus malgré la climatisation et l'effet émollient de l'environnement sonore - voix féminines des annonces, musique «easy listening» -, vous vous arrêtez et avalez discrètement quelques anxiolytiques ou bien vous entrez dans un bar franchisé et demandez une bière ou un cognac surtaxés par le bureau régional des affaires sanitaires et sociales. Et voilà, c'est passé, les muscles se détendent, la chaleur aux tempes vous fait trouver à nouveau le monde évident, rassurant, confortable pour tout dire. Ce malaise était pourtant une chance, un signal d'alarme, une fusée éclairante dans la grande nuit intérieure de votre post-modernité.
Mais vous n'avez pas voulu voir. Ni entendre. Alors vous allez mourir, ici et maintenant.
Allons-y, mes frères. Mon nom est légion.»




Une grande ville française, dans un futur proche...
Une épidémie d'une virulence incroyable, la «Rouge», se déclenche soudain, décime la population et désorganise à très grande vitesse l'ensemble de la société.
Les témoins de cette apocalypse bactériologique seront : un flic obsédé par la poursuite d'un tueur en série, un écrivain traqué par une secte survivaliste et une poignée de jeunes gens qui préfèrent le sexe et la philosophie à la loi du marché.
Tous pris au piège de la quarantaine sanitaire, ils vont, le temps d'une journée, se croiser, s'aimer, se tuer, se perdre et se retrouver sous l'œil ironique d'un virus qui sait qu'il a déjà gagné.
Au carrefour de l'anticipation et du roman noir, Jérôme Leroy est en train de construire une sorte de Comédie humaine, chacun de ses livres apportant un peu plus de cohérence à sa vision d'un monde à venir dangereusement possible. Ses lecteurs retrouveront avec bonheur dans ce roman sa noirceur élégante tempérée d'humour et d'ironie.


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