Sûr,
Bloch
avait le physique de ses nouvelles.En somme une bonne tête. Presque une trogne de saint homme. Une belle bouille de gentil bougre. De celles, de tronches, qui inspirent la confiance. Un profil d’homme à ne pas faire de mal à une mouche.
Hein, y’a de çà, de visu.. ! Avouez.. !
Le Bon Dieu sans confession qu’on lui donnerait, n’est t’il pas ?
Ouais.. ! Ouais.. ! On dira çà comme çà, de premier abord.
Car…grattant la façade…
Z’êtes bien sûr que, derrière l’aimable sourire, la dent ne mâchouille pas la carcasse broyée de la mouche.. ?
Z’êtes bien sûr que vous n’êtes pas vous-mêmes la bête bébête capturée… ?
Bloch
est un caméléon, il en a la langue, celle qui jaillie du sourire, vous englue et vous emmène en bouche sans crier gare. Et si le caméléon écrivait avec sa langue, bave et encre de chine mêlée, il vous scotcherait à ses écrits. Perso, c’est l’effet qu’il me fait.Bloch
est un pot de colle qui ne lâche jamais sa véritable proie : son lecteur.Si le bon Père
Bloch
vous parait morphologiquement elfique (zieutez l’oreille en pointe), ne vous laissez pas duper par son physique de Bon Samaritain qui parait être sien tout autant.Floué par son amical minois, vous voilà en mode « erreur fatale ».
Le fourbe révélé va vous en faire baver. Le « Tilt » vous attend à trop vous laisser rudoyer et malmener par le lutin furibond démasqué, à l’œuvre dans chacune de ses nouvelles.
L’œil égrillard préfigure le diablotin en action au cœur de chaque nouvelle.
La mine aimable cache la métamorphose, en lent morphing, de l’elfe vers Belzébuth, Satan hilare de sa duperie réussie.
Bloch
est celui qui tente le croche-pied dans le dos du lecteur distrait. Si ce dernier croit à tord avoir déjà tout compris de la mise en abîme qui l’attend, il se trompe.Bloch
est celui qui dépose la peau de banane sous ses pas, laissant croire au tapis rouge pour lui seul déroulé, le laisse trébucher sur le mot « fin » qu’il n’a pas vu venir.Bloch
est traître à son lecteur, il l’attend au tournant, le poignarde dans le dos, lèche le tranchant de la lame de sa langue bifide de vipère..Diable d’écrivain que celui-ci, qui sur les touches de son Underwood frappe, frappe et frappe ; comme s’il essayait d’assommer celui qui le nourrit : son lecteur..
Mais curieusement le lecteur aime çà et en redemande.
Le plaisir de la grosse claque en travers du visage, celui de tendre l’autre joue.
L’addiction d’en lire encore une autre, de nouvelle. Allez va, hein, juste une, une petite dernière, juste pour la route, avant de s’endormir.
Et de se retrouver au bout de la nuit chargé de peur, chargé de rires, recueil dévoré.
« Contes de terreur » vous offre trente manières de vous laisser duper. Cela serait bête de vous en priver, c’est si bon de se faire avoir.
.
Comment situer cet auteur américain (1917-1994) injustement méconnu, voisin de palier de Matheson Père… ?
On pourrait accoler un segment de sa vie d’écrivain à Alfred Hitchcock qui adapta son roman « Psychose » avec le brio que l’on sait, et pour qui il scénarisa 17 épisodes télévisuels de « Alfred Hitchcock présente» (même si apparemment Mister « Mort aux trousses » n’avait vendu que son nom, son image et sa patte à la fameuse série)
L’esprit du Maître (sardonique, pince-sans-rire, humour à froid, caustique, british) colle à merveille à
Bloch
. Il aurait pu reprendre le gimmick célèbre, « Histoires à ne pas.. », des anthos du cinéaste tant ses nouvelles fantastiques sont faites au moule pour ses célèbres recueils : « Histoires à se brosser les dents à la toile émeri » « Histoires à se glacer les neurones » « Histoires à se dynamiter les sinus » « Histoires entre oreillettes et ventricules » « Histoires à sucrer les fraises ».Qu’ajouter de plus si ce n’est que HPL himself le conseilla de manière épistolaire à l’age de 15 ans, supputant les prédispositions fantastiques de l’élève.
« Contes de Terreur » appartient à mon passé personnel, à mon attachement à la SF et au Fantastique, il a suivi mon itinéraire depuis mes balbutiements d’approche du genre. J’y accorde un intérêt, un crédit certain, une vraie qualité peut-être totalement subjectifs, en accord avec ce que j’attendais alors du fantastique Ce recueil, daté de 1974, je l’avais eu entre les mains, le temps d’un prêt en bibliothèque municipale, peu de temps après sa disponibilité en librairie. Depuis: je regrettai son absence de ma collection, toujours recherché, mais jamais revu sur les étagères poussiéreuses des bouquinistes.
J’étais jeune lors de la première lecture que j’en fis, et dans le chaudron
bloch
ien je suis tombé. Et ce pour une raison étonnante, pour le moins.Je suis fan irréductible de Coyote, inlassablement en quête d’un Beep-Beep fuyant comme une savonnette mouillée, montant des pièges délirants, au final toujours pris dans la nasse de son propre génie. Le héros
bloch
ien en possède le profil, monte son propre scénar miracle, celui qui au choix va lui apporter fortune, crime parfait ou la femme de son meilleur ami. Et toujours un grain de sable, un rien, grippe la machine. Gros Jean comme devant, comme toujours. Dans chaque nouvelle deBloch
un Coyote s’auto félicite ; il va le regretter.Le héros
bloch
ien est un perdant né, qui plus est masochiste. Il met, en effet et invariablement, le doigt dans un engrenage qui va broyer et son être physique et ses défauts. Il est égoïste, libidineux exacerbé, coureur impénitent, fieffé escroc ou voleur, menteur, roublard, en attente du crime parfait qui le débarrassera d'une épouse exécrée, raciste, intolérant, gourmand, goinfre, hautain, orgeuilleux.Bloch
le pare toujours d'un défaut rédhibitoire qui le conduira à sa perte via l'émergence d'un grain de sable invariablement irrationnel qui l'attire à sa perte en sirène mythologique.A l’époque de ma première lecture de ce recueil. J’aurais bien voulu le garder ce bouquin en prêt. Mais le rendre il a hélas fallu. Mon maigre argent de poche ne put me payer un prohibitif « Opta, Aventures Fantastiques ». Et pourtant, bongu, qu’il était beau. Motif recto : « Belzebuth-sur-son-trône », en emporte-pièce argenté dans le corps d’une couverture d’ébène, aussi épaisse qu’une tuile d’ardoise noire . Jaquette reprenant le motif . Sur-jaquette transparente. Et en dernière page ces mots magiques : « Exemplaire n° ». Ce fut la toute première fois que je touchais une édition limitée.
Bref, ce mirage-là fut tissé d’inaccessibles rêves jusqu’à ce que tout récemment…Merci à qui se reconnaîtra…
Et là surprise, 34 ans plus tard, j’avais sauvegardé, quasi photographiquement, les trente illustrations internes ouvrant les trente nouvelles incluses. La plume de Moebius, trempée d’encre de Chine noire avait lâché un diable en habit du XXème siècle, oreilles effilées et phylactères de BD.
Ne vous fiez pas à
Bloch
. C'est un roublard. Il fait patte de velours à chaque début de nouvelle, fait croire à du "déjà-lu", à un archétype de la littérature fantastique qu'il se propose de revisiter en votre compagnie, en toute camaraderie, complicité rieuse et confiance.« Viens jouer lecteur, n'aies pas peur. Par la main je te guiderai dans ce grand cirque macabre que je te propose de visiter. S’'y agitent tous les clichés du Grand-Guignol fantastique, les têtes de condamnés à mort qui roulent dans la poussière, les crânes maléfiques, les corps débités en tranches au frais dans les congélateurs. On va tous deux se payer une bonne pinte de rigolade, faire semblant d'avoir peur »
Ne lui accordez surtout aucun crédit au père
Bloch
, d'aucune attitude franche. Il se joue en hypocrite consommé de vos certitudes erronées, il va utiliser la fausse tranquillité dans laquelle il vous installe pour vous électrocuter.En voiture s'il vous plait. Le train fantôme vous attend, sièges confortables, ceintures de sécurité rassurantes, lumière d'espoir au bout du tunnel. Bien sûr, pour vous faire délicieusement peur, quelque part sur le trajet, au détour d'un virage abrupt, dans une partie sombre de tunnel, un complice viendra vous chatouiller sous les aisselles. C'est du classique, une des règles du jeu dont vous ne supporteriez pas qu’on vous prive. Vous voulez frissonner, mais en territoire connu, balisé, prévisible. Juste ressentir un temps le plaisir d'avoir peur et de ricaner.
Ainsi vous rassure
Bloch
. Doucement. Tranquillement. Et, guindé et obséquieux dans son ténébreux habit de fête, smoking noir et haut de forme, il vous invite à le suivre de la main droite ouverte ; quand de la gauche dans son dos, de la pulpe du pouce il teste le tranchant d'un rasoir de grand-père caché sous les pans de sa queue-de-pie. L'acier, comme les griffes du chat jaillissent du moelleux des coussinets, décapite votre confiance, coupe les ficelles de la marionnette qu'entre les mains du montreur vous êtes devenu.Bloch
vous promet l'attrait du vide sous vos pieds, en toute confiance un temps sur la sécurité d'une large poutre, en incertitude bientôt sur un fil d'équilibriste qui oscille et menace de se rompre, en chute libre pour finir en attente de ce sol qui de plus en plus vite monte vers vous.Et l'auteur de ricaner, de se foutre de votre poire. Il vous a ouvert la porte sur des clichés que vous pensiez maîtriser. Vous êtes rentrés, confiants et d'avance amusés. La porte se referme brutalement dans votre dos. Tant pis pour vous.
J'use ici de clichés pour vous parler de
Bloch
.C'est voulu.
L'auteur fait de même dans la constante utilisation du rebattu aux oreilles de lecteurs blasés. Il cherche à leur tordre le coup en les revisitant sous un angle nouveau. Il n'y parvient pas toujours. Mais souvent les vielles ficelles de la peur vous ligotent toujours.
Si le voyage vous tente..ne m’en veuillez pas, je vous aurais prévenu. Et puis je peux chercher à vous embobiner, à vous mentir. A vous de voir. Hi Hi..!