Le courant se présente plutôt comme l’histoire d’un futur proche, qui ne reprend pas de nombreux artefacts de la sf.
Point de space opera ni d’empire galactique, d’extraterrestres à foison, de planètes lointaines et exotiques, de robots fabuleux, de rayons lasers, de désintégrateurs ou d’autres armes extraordinaires.
En ce sens, il n’est pas sans rappeler la New wave, à laquelle il succède et à qui il emprunte.
Star wars parait très loin, alors que la série de Lucas reste pourtant très proche dans le temps, puisque Neuromancien sort un an à peine, après le dernier épisode de la trilogie originelle.
Mais surtout, le roman de Gibson sort deux ans à peine après le film qui aura une influence décisive sur le cyberpunk, cette belle adaptation infidèle qui donnera son titre définitif au roman de Dick de par chez nous : Blade runner.
L’influence de Blade runner montre d’une certaine façon l’influence de la New wave sur le cyberpunk.
Le retour sur Terre, en lieu et place du grand espace. Un futur proche sans grande prouesse technologique (pas de voyage dans le temps ou à travers les galaxies), le refus d’un futur scientiste lénifiant de préférence libertarien, des préoccupations écologiques, tout cela nous le connaissions déjà.
Le cyberpunk y ajoute une bonne dose d’interlope, en se situant dans un monde où le libertarisme réellement existant est loin des promesses utopiques qui enchantaient certains auteurs (Heinlein, Anderson, Niven, Pournelle notamment).
Si les lois et les règlementations ne sont plus qu’un souvenir lointain, dans ce monde où l’on peut vendre son cerveau comme serveur informatique, c’est surtout au nom du règne de la débrouille. Comme chez Dick, nous sommes avec des anti-héros, des perdants d’une société rivés au sol, tandis que les nantis se sont éloignés dans leurs luxueuses stations orbitales.
A chacun de se débrouiller dans cette débine généralisée, dans ce monde détraqué, où qui ne travaille pas ne mange pas.
Un mouvement, des auteurs.
Si certains auteurs cyberpunks ont fait de belles carrières chez nous (Gibson et dans une moindre mesure Sterling), certains en pointillés (Effinger, Williams, Jeter, Cadigan), d’autres furent de simples météorites (Swanwick, John Shirley). Sans oublier le made in France, avec Jean-Marc Ligny. Sans oublier enfin quelques curieux qui se sont livrés à une incursion en terres cyberpunk, comme Spinrad.
Certains de ces auteurs se sont plus ou moins détachés du cyberpunk, pour s’intéresser à l’écologie, comme Sterling (dont le premier roman n’a rien à voir avec le cyberpunk) et surtout Ligny.
Certains auteurs ont su explorer d’autres horizons, comme Cadigan qui a écrit de splendides nouvelles fantastiques, sans aucun lien avec le cyberpunk, ou Robert Charles Wilson, que l’on ne présente plus.
Gibson apparait vraiment comme l’auteur majeur et totalement incontournable, même si, selon
Rumpala
, son œuvre a survécu au cyberpunk.En effet,
Rumpala
borne le cyberpnunk aux années 80. Il prend donc le parti assez audacieux de le confiner dans cette seule décennie, estimant que seuls les trois premiers romans de Gibson s’y rattachent. La suite de son œuvre apparient elle au post-cyberunk (romans ultérieurs de Gibson, mais aussi Stephenson ou certains textes d’Egan).Le cyberpunk est un peu une étoile géante, qui a brûlé très rapidement son combustible, avant de survivre à travers les atomes lourds qu’elle a forgé, comme ceux qui constituent notre planète et ce qui y vit. En un certain sens, le cyberpunk a une postérité qui dépasse de loin sa courte vie.
Si l’on s’en tient à la périodicité stricte du cyberpunk, on se rend vite compte de la créativité et/ou de l’hétérogénéïté du mouvement.
Certes, les ordinateurs et la technologie, ainsi que leurs hybridation avec le corps sont omniprésents (et ce dès la première nouvelle de Gibson, dont la mélancolie teintée de poésie ballardienne se révèle assez touchante).
Mais quel est le point commun entre des romans qui tiennent d’avantage du polar d’anticipation type Soleil vert de Harry Harrison (trop injustement éclipsé par le film), comme ceux de Gibson, et le biomécanique de La schismatrice de Sterling, des courses mortelles du Marteau de verre de Jeter, ou de la contrebande en pleine déglingue post-apo de Williams ?
Quel est même le point commun entre les textes somme toute différents mais cohérents, qui constituent l’unique recueil de nouvelles traduites de Gibson, hormis la traduction exécrable de Jean Bonnefoy ?
Le cyberpunk est bien plus vaste qu’on ne pourrait le penser, pour peu qu’on veuille le limiter à une littéature de geeks. Ses grandes lignes, loin de se limiter à la seule informatique, sont aussi et surtout ce que les auteurs en font.
Le livre de
Rumpala
ne propose donc pas une analyse sur une très longue période, qui nous ammènerait jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’aux GAFAM et à l’uberisation, sur la rengaine bien connue de « La sf nous avait pourtant mis en garde » ou « La réalité a rejoint la SF ».Le cyberpunk reste avant tout une aventure littéraire et le produit de l’Amérique reaganienne, mais aussi du délitement et de la traversée du désert de la sf francophone (fin de la revue Fiction, agonie de Présence du futur, de l'éphémère collection de SF chez La découverte qui avait publié Gibson,etc.). Sommes-nous passés à côté du cyberpunk en France ? Force est de constater que nous en parlons assez peu ici.
Elle se centre essentiellement sur la trilogie originelle de Gibson et Blade Runner, sans pour autant négliger les auteurs phares traduits (Sterling, Cadigan, Shirley) ou non (Shiner, Rucker dont les œuvres cyberpunks restent inédites, sauf le premier roman d’une tétralogie, massacré à la trad pour Rucker).
Mais l’un des aspects les plus intéressants reste l’ampleur de la littérature critique autour du cyberpunk produite par les anglophones. Cela tient sans aucun doute au fait que la sf et la science y sont prises au sérieux.
On pourra reprocher à l’auteur son parti pris gibsonocentré (j’ose ce néologisme).
Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une erreur ou d’un parti pris. Gibson est un auteur particulièrement lu et étudié, bien au-delà de la littérature, notamment par les sciences sociales. Quand on voit l’intérêt que suscite Gibson, on ne peut que se lamenter de la nullité française en la matière.
Mais que voulez-vous, la Littérature, la Grande Littérature, n’est pas une affaire de geeks ou de nerds boutonneux au pays du Minitel.
L’arrivée de l’IA avec Chat GPT, de l’informatique spatiale (ou réalité augmentée, surtout portée par Sony et Apple après le bide retentissant du métavers de Meta ex-Facebook), et l’émergence d’une véritable oligarchie de la tech, où Microsoft a perdu son monopole, surtout grâce à l’arrivée de nouveaux terminaux (smartphones, tablettes). Mais aussi la décomposition accrue de l’Etat, notamment des services publics en France. Tout cela nous rappelle que si la sf ne prédit pas le futur, elle se plante bien moins que les voyants ou les astrologues. Ancrée dans le présent, elle sait en dégager les potentialités. Le reste apparaitent à la contingence historique.
Mais force est de constater que le cyberpunk a assurément des choses à nous dire. Et que pour les écouter avec l’attention qu’elles méritent, le livre de
Rumpala
se révèle la meilleure introduction possible.La littérature critique est encore très étique en francophonie. Raison de plus pour se jeter sans plus attendre sur ses meilleurs livres !
Cette critique est dédiée à la mémoire de Terry Bisson, qui avait novelisé Johnny Mnemonic.
Adieu camarade !
Ainsi qu'à la mémoire de Christopher Priest, dont le rapport avec le cyberpunk se limite à la novelisation d'Existenz.
Salut à toi, auteur inclassable s'il en était.