- La disparition de la mort se décompose en deux étapes pseudo-médicales qui constituent quasiment tout le savoir d'un docteur, une sauvegarde permettant, en cas de mort comme de rhum une restauration / réinitialisation dans un clone développé à cet effet.
« Avec un taux de mortalité nul et un taux de natalité non nul, le monde accumulait une épaisse couche de population, même avec les migrations et les temps morts. »
La fin de la mort s'est accompagnée de technique de rejuv' permettant à tout un chacun de choisir son âge d'apparence – les docteurs ont généralement les tempes grisonnantes et les rides qui rassurent -.
Faute de sauvegarde quotidienne ou hebdomadaire, on risque de perdre des souvenirs douloureux ou doux mais précieux. Cependant, on peut décider d'être restauré sous une sauvegarde antérieure à des événements traumatisants ou qu'il est souhaitable de ne pas connaître. Et, si l'on s'ennuie, si la vie n'apporte plus son lot de défis ou de plaisirs, on peut opter pour le temps mort de la durée de son choix, un lustre ou la fin thermique de l'univers.
- La Société Bitchun, liée à la disparition de la mort, a quant à elle fait disparaître les establishments : les Etats se sont dissouts, les universités ont été prises par les étudiants, les adhoc – groupes d'administrateurs auto proclamés, démocratiques – se sont instaurés décisionnaires.
Il ne s'agit pas pour autant d'anarchie. La base de fonctionnement de la Société Bitchun est le niveau de whuffie que chacun accumule, ou non. Le whuffie est constitué du mérite, de la considération, de l'estime que les autres vous portent. Il aboutit à une méritocratie où celui qui est reconnu comme le plus compétent, le plus valable peut influer le plus sur la marche des structures - leur organisation, leur évolution -. Un monde idyllique en somme, où pour obtenir plus, il faut se montrer méritant, meilleur, gentil (?).
Le trait de maître de Cory
Doctorow
est bien évidemment de situer l'action de son roman – une lutte feutrée, doucereuse et âpre autour de la gestion des attractions du parc) dans la synthèse parfaite de la Société Bitchun, Disney World.Quant aux éventuels opposants ? « Ceux qui n'avaient pas adopté la sauvegarde / restauration auraient pu soulever une objection... mais, ah tiens ? Ils sont tous morts. » Depuis une génération, naturellement.
- La disparition du lieu de travail, du travail lui-même. Le whuffie se gagne par la considération. Dans une méritocratie, il faut donc se montrer œuvrant pour les autres pour progresser. La méritocratie comme idéal de gouvernement ? Pourquoi pas, d'ailleurs il s'agit sans doute de l'idéal à atteindre, hmm. Mais il a ses travers, comme tout idéal, il sacrifie l'individu. Le principal écueil d'une méritocratie est vraisemblablement le conditionnement induit par la recherche de l'accumulation de whuffie.
« Les autres visiteurs détournaient les yeux après avoir consulté mon whuffie. Y compris les enfants. »
« Voilà à quoi ressemble de toucher le fond : on se réveille dans la chambre d'hôtel de son ami, on allume son mobile, et il ne se connecte pas ; on appelle l'ascenseur et le bouton d'appel se contente de vous adresser un bourdonnement hostile. On descend par les escaliers dans le hall de l'hôtel, et les gens vous croisent en vous bousculant mais sans vous regarder. »
Une recherche qui mène au règne des apparences et des faux-semblants – puisque je vous dis que Cory
Doctorow
est intelligent de situer son intrigue à Disney World ! -, aux actions cachées et aux trahisonsAvec Dans la dèche au Royaume Enchanté, Cory
Doctorow
offre à ses lecteurs un roman enthousiasmant. La frivolité apparente d'une société où la mort et le travail n'existent plus, une société de sybarites, est un décor acidulé. Ce caractère est renforcé par une écriture tout à la fois enlevée et maîtrisée. Les retours en arrière suivent des expériences personnelles de Julius, le narrateur, et éclairent sans lourdeurs mais avec bonheur l'avènement de la Bitchunerie, ses bénéfices, ses largesses, ses libertés. Sous la légèreté d'un « petit » romanDoctorow
aborde non sans humour et dérision un thème beaucoup moins anodin et intrinsèque à la société humaine, la contrainte faite à l'individu par le groupe. Le héros du roman, Julius a par ailleurs écrit une thèse sur la Foule, Battre la Foule est une de ses marottes.Le côté bon-enfant du Bitchun dissimule, mais n'empêche pas manipulation et opportunisme. La violence est larvée, ne s'exprime plus dans les actes – la perte rapide de whuffie étant à éviter – mais dans les contraintes douces et les mouvements de masse qui écrasent l'individu, comme Zoya, l'épouse folle de Julius.
Ce roman de Cory
Doctorow
, je l'ai ouvert avec un a priori favorable. Mon jugement final est très positif. On ne s'ennuie pas à cette lecture à la fois distrayante et intelligente.Doctorow
intègre avec habileté dans le fonctionnement de son univers beaucoup d'éléments cyberpunk devenus courants dans la science-fiction. Il laisse de côté toute explication scientifique des évolutions qu'il présente comme acquises ce qui accélère - ou plutôt ne ralentit pas - son récit.Un auteur, et un roman, à ne pas négliger pour tout amateur du genre.