Ô joie, Kate
Wilhelm
en est !Contraints par l’épuisement des ressources, les humains ont maitrisé le voyage temporel pour aller assouvir leur fringale en puisant dans le passé et l’avenir de notre Terre.
Un vaisseau se pose sur une autre Terre.
Dépourvue de toute vie animale, elle est couverte de vastes forêts de sequoias, qui évoquent l’Oregon de l’autrice. Pas de chants d’oiseaux, de bourdonnements d’insectes, pas d’autre bruit que le vent, la rivière qui s’écoule ou l’orage qui s’annonce.
L’équipe sort du vaisseau, et chaque scientifique commence l’exploration et les expériences habituelles. Le but est d’explorer cette temporalité pour savoir s’il sera possible d’y trouver des ressources intéressantes.
Si tel est le cas, il suffira ensuite d’y envoyer des ouvriers, pour exploiter tout ce qui pourra l’être.
Un couple, Lorin et Jan se retrouve au cœur de l’intrigue, notamment Lorin (l’homme). Il n’hésite pas à outrepasser les consignes, et à s’éloigner du vaisseau pour explorer plus en avant. Il goûte également les noix qui tombent d’un arbre. Son audace paie, car le fruit se révèle à son goût.
Cela ne fait qu’ajouter à l’envoutement qu’il a pour cette planète sauvage et luxuriante, où le seul bruit n’est pas une cacophonie urbaine, mais celui d’une forêt où souffle le vent et coule une rivière. Tout, dans ce décor bradburien, est si calme et dépaysant. On pense aussi au grand Ballard, qui y implanterait sans doute ses sables vermillons.
La beauté et la quiétude de la vie végétale contraste avec le regard acerbe qu’il porte sur la civilisation ; sur ces hommes qui profanent cet éden en y enterrant leurs boites de conserve et polluent cette encore terre vierge de toute activité humaine. Rappelons-nous par exemple qu’il a suffi que les Français aient enfin des masques, bien après l’arrivée du Covid 19 (ou plus exactement du SARS-CoV-2), pour pouvoir enfin saccager les forêts ou les mers en les y jetant.
Lorin va tenter d’enrôler sa compagne avec lui, dans un projet fou : se perdre sur cette planète édénique pour y rester définitivement. Pour fuir enfin la réalité que l’on ne devine qu’en négatif.
Ce contraste est assez typique des choix de l’autrice. Si vous aimez les jardins à la française, où tout est planifié, ordonné par la main de l’écrivain, passez votre chemin.
L’écriture est ici elliptique, et suggère beaucoup plus qu’elle n’évoque ou ne décrit. Tel est le contrat qui vous est ici proposé. Ce n’est pas le globe qui vous est décrit, mais un petit arpent de forêt, où s’est posé un vaisseau dont nous ne connaitrons rien. Pas plus que nous ne saurons comment on y voyage dans le temps.
Tout se concentre sur Jan et Lorin, et leur petit bout de forêt.
Jan suivra-t-elle Lorin dans ce projet fou ? Le suivre voudrait dire condamner toute l’équipe à y rester, car il est impossible de repartir en équipe incomplète, et la possibilité du sacrifice fait partie intégrante du voyage. Mais faut-il se sacrifier pour cela ?
Ou bien Jan restera-t-elle fidèle aux objectifs de la mission, au salut de l’équipe, aux objectifs du voyage ?
L’une des forces majeures de ce texte, c’est sa chute.
Je n’en dis rien pour ne pas gâcher le plaisir, mais j’ai rarement vu un tel virage en épingle à cheveux. Une transition particulièrement brutale, et surtout cruelle. Nous sommes loin de l’optimisme et du futur plein de promesses spatiales voire galactiques de l’Age d’or.
Tirée d’Orbit, cette nouvelle s’inscrit pleinement dans son époque. Les préoccupations écologiques, très prégnantes chez
Wilhelm
, sont ici au cœur du texte.On y retrouve aussi tout ce qui fait le génie de la New wave : son violent retour sur Terre, sur la Terre et ses problématiques. Son insistance aussi sur la littérature, plus que sur l’efficacité. Les personnages sont assez complexes et ambivalents, les interrogations vertigineuses, et le récit nullement aventureux. La promesse du voyage dans le temps aboutit à un pessimisme froid, celui d’une humanité incapable de résoudre les problèmes qu’elle pose.
Mais pas de morale, non. Kate
Wilhelm
n’est pas une dame patronnesse du péril écologique.La « surpollupopulation » (Théophile de Giraud), contre laquelle elle nous met en garde, n’appelle pas de solution sous sa plume. Elle n’est pas une utopiste qui bâtit je ne sais quel Pays de Cocagne décroissant ou prométhéen.
Elle se contente de nous rappeler le défi de la « surpollupopulation » (Théophile de Giraud), défi que nous sommes toujours incapables de relever, quitte à ne pas nous en relever. En ce sens, elle se situe dans la droite lignée de Rachel Carson, qui nous alerte sur les conséquences de nos actions.
Contemporaine d’Ursula K. Le Guin, Kate
Wilhelm
est l’une des grandes plumes féminines qui ont éclot avec la New wave et, hélas, un secret trop bien gardé de la sf.Comme dans les plane topera de Le Guin, la sf sert ici de décor, et permet à l’autrice de mettre en scène des thèmes qui lui sont chers. Si vous aimez l’aventure trépidante dans un environnement exotique, vous avez fait fausse route, mais il y a peu de chance que vous soyez arrivé au bout de cette chronique.
Demain le silence n’est donc pas un texte qui plaira à tout le monde. Il s’inscrit de plain-pied dans une collection éclectique, qui fait cohabiter Andrevon, Aldani, Robinson, Silverberg, Matheson, Curval et Anderson.
Texte original dans sa construction, ciselé dans son écriture, cette fable à la cruauté presque insoutenable fait partie de ce que je préfère en sf. Une littérature qui essaie de vous secouer les méninges, sans jamais sacrifier la littérature.
Ce volume, avec celui d’Aldani ou de Simak, fait partie des meilleurs titres de la collection.
Kate