... mais de la bonne, et ceux qui dédaignent ce genre pour cause de plume indigente, non sans de solides raisons, il faut bien le dire, auraient bien tort de se détourner d'emblée de ce recueil de parution toute récente (tellement d'ailleurs, que je n'ai pas pu mettre la date de parution !). En effet, les nouvelles qu'il regroupe sont toutes d'excellente facture. Je les résume rapidement ci-dessous :
Sur la route d'Ongle : le contraste est amusant entre les passagers de ce bus à pieds, et les péripéties qu'ils affrontent, et le sujet même de la nouvelle - un trajet somme toute banal entre deux points... Ben, oui, quoi, les leprechaun aussi peuvent souffrir du mal des transports ! Une belle ouverture pour un continent inconnu, en tout cas...
Mille et mille surgeons du Foisonneur : l'âme des forêts malades ne peut être régénérée que par le Sylvain originel qui est toujours enfermé dans la Matrice-âme. Mais ses services ont un prix... D'une manière peut-être absurde, cette nouvelle m'a évoqué Chant nuptial, de Herbert (in Le livre d'or).
Lacnae B'Asac : la vengeance de l'ex-révolutionnaire abandonné par sa belle, une nouvelle sombre dans une ambiance d'île de la Tortue, avec quelque chose de lyrique (un Cavalleria Rusticana chez les pirates, si on veut).
Dans l'Antre du Sanguinaire : très joli retournement de situation après la citation du Hobbit qui chapeaute la nouvelle !
Ce qu'il advint des ravisseurs de la Tomate chantante : un dieu étrange aux pouvoirs délétères... Je n'en dirai pas plus pour ne pas déflorer cette nouvelle grinçante, moins drôle que son titre ne le donnerait à croire.
Le Tronc, la Grume et le Fluent : Ambiance western, qui démontre s'il en était besoin que les deux genres se marient fort bien. On y appréciera notamment l'arbalète smicée Ouaissonne...
Magma mia ! : C'est bien gentil de vouloir goûter du dragon... mais la gourmandise et l'étourderie sont punies, de façon originale !
Suivre à travers le bleu cet éclair, puis cette ombre : Que se passe-t'il dans la principauté d'Ayale ? Les trois espions précédents ayant disparu, c'est à Lirahaï de chercher à le savoir. A mon avis l'une des deux ou trois plus belles nouvelles de ce recueil que cette très belle utopie, qui ne manque pas d'ambiguïté, entre fantasy et SF, avec des jeux graphiques justifiés.
Le jardin de nains du Ninja Radin : le jardin en question est beaucoup mieux gardé que prévu... mais l'assaillant aussi a son arme secrète... Belle histoire de voleurs, drôle et qui permet de souffler dans une seconde moitié d'ouvrage à la tonalité plutôt sombre.
Jeunes sirènes lascives pour matelots bourrus : Il est dangereux de lutter avec des armes magiques contre un sort. Surtout en étant trop sûr de soi. Pas plus trace d'humour dans ce texte violent que de sirènes ni de matelots, malgré le titre léger... mais une idée très originale.
Mon père, ce bouffon au sourire si torve : Dans une ambiance de lutte pour le pouvoir, les retrouvailles d'un père et de son fils. La légère touche de SF (avec les seuls ET du recueil) ne dépare pas l'ambiance plutôt Fantasy de cette très belle nouvelle, qui évoque bien un Victor Hugo mis en musique et en scène par Verdi : Rigoletto n'est pas si loin.
Deux hougôlouns dans le vent du soir : Devenir l'ombre, ou pour mieux dire le reflet, d'une chouette-miroir, c'est merveilleux... et instructif. Encore faut-il pouvoir revenir. Cette dernière nouvelle clôt en splendeur le recueil. On la trouvera particulièrement caractéristique de l'auteur quand on aura noté que l'un des persos les plus crétins s'appelle Shofmarsael ;-D.
Il est évident que
Rey
a mille idées par minute, plus délirantes dans leur logique (et vice versa) les unes que les autres. Son imaginaire est très personnel, et creusé dans les moindres détails. En sont témoins les cartes qui ouvrent l'ouvrage, détaillées et aux noms loufoques (Mouillette, Flemme, Château L'Ail...), et les illustrations qui introduisent chaque nouvelle. Il n'en reste pas moins qu'à la lecture j'ai aussi cru discerner des hommages aux "grands auteurs" qu'il a à l'évidence fréquentés : Le Guin (pour la dernière nouvelle, et peut-être même pour la première), Tolkien, bien sûr, Hugo, peut-être Herbert... et le cinéma.Enfin, j'ai eu un immense plaisir à lire quelqu'un qui utilise à si bon escient l'imparfait du subjonctif qu'on s'aperçoit à peine de sa présence, et qui, d'une manière générale, écrit un français à la fois impeccable et d'une immense richesse.
Un petit extrait, pour finir de vous convaincre : Il s'agit d'une fleur colossale, tout en replis complexes, dont la teinte évoque la glace, un blanc virant à un bleu doux aux endroits où les pétales sont les plus fins. Un enchevêtrement radieux, une géométrie de la fragilité, à la fois proliférante et rigoureuse si on la décompose en ses formes premières. Ca tient du minéral et du vivant et c'est beau. Surnaturellement beau. (in Suivre à travers le bleu...)
Les êtres de la race du Sanguinaire aiment à nicher en groupe, va savoir combien ils sont et quelles abominations ils sont en train de perpétrer...
Toutefois, malgré la peur qui lui noue les entrailles, la convoitise fait luire les prunelles du voleur. Devant lui s'étalent mille merveilles, tout en courbes dorées, juste à sa portée, il n'a quà s'avancer un peu, se saisir des trésors qu'il pourra emporter et fuir le long du passage secret par lequel il est entré. Il suffirait que le Sanguinaire rejoigne un moment les siens, qu'il quitte la salle, pour que Chaguelume en profite. (in Dans l'antre du Sanguinaire)