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Pour sa première incursion dans le domaine de la narration graphique, Jung-Hyun Suk (1) nous propose une histoire pour le moins originale dans la facture et qui témoigne d’une très grande maîtrise de l’infographie. Sur le plan du scénario, hélas, les choses sont moins satisfaisantes, non à cause du manque d’idées mais pour l’aspect un peu « brouillon » qui nuit à la compréhension de l’intrigue.
Si la dénonciation de l’influence des médias et de leurs dérives reste tout à fait pertinente et d’une cruelle actualité, et si la réflexion sur la privatisation de la sécurité témoigne du niveau de cynisme requis pour aborder un tel sujet, ces messages se trouvent hélas noyés dans une narration éclatée à travers de nombreuses pistes différentes qui montrent de nettes difficultés à se rejoindre en un tout vraiment cohérent. De plus, une emphase assez prononcée sur l’action tend à noyer le propos tout en diluant davantage le récit. Enfin, le thème du surhomme – ou du moins un concept assez voisin – est ici abordé avec beaucoup de retenue, peut-être en raison du format court de ce one shot qui ne permet pas d’aller vraiment au fond du sujet.
Il reste néanmoins une technique d’illustration tout à fait étonnante, au rendu réaliste mais sensible à la fois, et à la dynamique rarement atteinte dans un tel registre pictural – surtout sur le média de la BD. L’ouvrage est d’ailleurs augmenté d’une partie concept art tout à fait conséquente où l’auteur explique sa démarche narrative et où il présente l’ensemble de ses travaux préparatifs – à noter que les mecha designs y prennent une place substantielle, hélas sous-représentée dans le résultat final. De plus, quelques ébauches commentées permettent de comprendre que le scénario de départ était assez différent de celui de la version publiée – avec notamment des réminiscences plus marquées du travail de Shirow qui a de toute évidence eu une influence importante sur l’ensemble.
En dépit d’un travail de fond conséquent et d’une facture qui ne laisse pas indifférent, Fantôme ne parvient pas à tirer toute la substantifique moelle de son concept de départ qui offre pourtant des possibilités vastes. Peut-être trop vastes d’ailleurs compte tenu de l’expérience encore assez limitée de Jung-Hyun Suk comme scénariste mais aussi de la longueur réduite du volume. L’expérience reste néanmoins agréable – même s’il vaut mieux lire l’ouvrage deux fois pour mieux en cerner certaines subtilités – et laisse présager de bonnes choses dans le futur pour un auteur qui n’a certainement pas encore montré tout ce dont il est capable…
(1) né en 1976, il s’est vite imposé comme un maître du logiciel Painter dans l’industrie du manhwa – les mangas coréens – en travaillant sur nombre de productions de ses confrères ; Fantôme est à ce jour son unique création entièrement personnelle.