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Filles perdues n'est pas le comic le plus connu d'Alan Moore. Ses fans l'appellent affectueusement Dieu et comme les paroles d'un dieu ne sont pas faciles à décrypter, j'hésite sur la manière d'aborder ce livre. D'abord, plantons un grand panneau STOP pour les âmes prudes et les jeunes lecteurs. Passez votre chemin, vous lirez ce comic quand vous aurez 18 ans ou une fausse carte d'identité. Filles perdues n'est pas pour vous. C'est une bande dessinée pour adultes, un comic érotique, n'ayons pas peur des mots, franchement pornographique.
Imaginez un grand hôtel à la frontière autrichienne. Nous sommes en 1913 à l'aube de la première guerre mondiale. Parmi les clients, nous découvrons Alice Fairchild, Dorothy Gale et Wendy Darling. Nous reconnaissons trois figures classiques de la littérature enfantine, les héroïnes respectives d'Alice au Pays des Merveilles, du Magicien d'Oz et de Peter Pan. Elles sont maintenant adultes et visiblement malheureuses. Elles se rencontrent pour la première fois, se désirent, s'aiment, et racontent leurs histoires. Elles le doivent pour s'épanouir et retrouver leur jeunesse perdue.
Un œil rapide et dédaigneux feuilletterait les 322 pages de cet épais volume et jugerait fort hâtivement Alan Moore comme un pornographe se régalant de salir des contes pour enfants avec un plaisir pervers sous le prétexte abusif de l'art. Je le reconnais, c'est précisément ce que j'ai pensé mais une lecture complète m'a amené à un second jugement.
À travers les vies d'Alice, Dorothy et Wendy, Alan Moore fait le récit de trois jeunes filles abusées, fragilisées, choquées, trois petites filles qui, ne comprenant pas ce qui leur arrivait, ont imaginé des histoires merveilleuses pour échapper à une réalité trop douloureuse, trop honteuse. Si Filles perdues n'a rien de fantastique, le mythe n'est jamais loin et Alan Moore le revisite avec passion et volupté.
L'histoire est donc intelligemment construite. Quant au dessin de Melinda Gebbie - l'épouse d'Alan Moore -, il possède un certain charme rétro qui rappelle les peintures érotiques du siècle dernier. Par contre, le contenu même m'a parfois ennuyé. Je ne réprouve pas l'érotisme - je possède quelques bandes dessinées de Paolo Serpieri et Milo Manara qui enrichissent ma bibliothèque - mais les auteurs se déchaînent avec Filles perdues. Scènes hétéros et homos, seul(e), à deux ou à trois, des orgies, de l'inceste, avec des enfants, des animaux et divers ustensiles. Un déluge fiévreux de sexe pour tous les goûts. Jamais rien de caché, de voilé ou de dissimulé. Le texte est très bon, d'accord, mais le récit trop long. À la fin, il lasse. Dans son ensemble, Filles perdues est un chef-d'œuvre mais, la dernière page tournée, le livre refermé, je n'étais pas fâché de passer à une littérature plus calme.
Si vous désirez offrir un moment de distraction à votre vieux tonton pervers, n'envisagez pas ce livre. Il plaira surtout aux poètes, aux rêveurs, aux romantiques, aux libertins - et aux libertines -, aux fous et aux opiomanes. Les amateurs de fesses se contenteront d'un abonnement à Canal +.