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À l’époque où les premières aventures de Gazoline paraissent dans Kosmik Komiks en 1983, l’intérêt de Jano pour la science-fiction n’est pas nouveau : outre l’album Le Zonard des étoiles de la série Les Aventures de Kebra, opus rassemblant une suite d’épisodes au départ publiés dans Métal hurlant à partir de 1981, les connaisseurs se rappellent peut-être un court one shot paru l’année précédente dans le même magazine, intitulé Mort de Rire et narrant une enquête de Jo Jaguar, Détective moderne (1). C’est donc un auteur « rodé » au genre qui se lance dans cette nouvelle série, et un artiste en pleine possession de son talent qui s’attaque à cet album six ans à peine plus tard.
Pourtant, il vaut mieux connaître un peu l’œuvre du bonhomme pour savoir à quoi s’attendre en ouvrant cette bande. Car Jano ne fait pas partie de ces auteurs qui s’inspirent des classiques de la science-fiction littéraire (2) mais plutôt des productions les plus populaires du genre ; et par-dessus le marché sa culture personnelle s’étend du rock punk au métal des banlieues, le tout dans le plus pur style années 80 où les cuirs se cloutaient, les crânes se rasaient et l’ambiance générale déclinait peu à peu vers une froideur égoïste et ultra-violente en opposition radicale avec les deux décennies précédentes… Bref, délicatesse et subtilité ne sont pas à l’ordre du jour – loin de là.
Malgré tout, le scénario ne se montre pas vraiment linéaire, ni les personnages franchement stéréotypés, et en dépit de sa simplicité l’idée de départ reste maniée avec une certaine originalité dans l’humour plus ou moins décalé qui caractérise souvent Jano – alors on ne s’ennuie pas. Si les paysages restent dans l’ensemble assez monotones, la diversité des designs de personnages et d’extraterrestres, de véhicules et de machines en tous genres montrent un mélange des styles et des genres aux accents tout à fait postmodernes, et qui ne va pas sans rappeler Mad Max 2 d’ailleurs ; quant aux situations, elles vont du rocambolesque au spectaculaire orienté action entre deux scènes de sexe bien évidemment gratuites mais qui ne jurent pas avec le reste pourtant.
Bref, on s’amuse beaucoup devant autant de poncifs aussi bien détournés, même si le résultat final reste trop caractéristique de l’auteur pour y voir une réelle volonté de parodie plutôt qu’une simple interprétation. Gazoline et la planète rouge se veut une pure distraction, et elle demeure toujours aussi efficace 20 ans après, voire même plus – ce qui n’est pas banal…
(1) récit court repris dans l’album Kebra chope les Boules paru en avril 1982 (Les Humanoïdes associés, collection H Humour Humanoïde, ISBN : 2-7316-0163-9) ; c’est à ma connaissance l’unique enquête de Jo Jaguar à ce jour…
(2) à part peut-être la série John Carter de Mars, d’Edgar Rice Burroughs, et encore celle-ci me paraît un peu trop sophistiquée pour constituer une base quelconque pour Gazoline…
Récompense :
Alph-Art du meilleur album au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 1990.
Note :
Le mot gazoline désigne au départ de l’éther de pétrole, mais compte tenu de la culture de l’auteur et du profil de l’héroïne il semble ici être plutôt un hommage – ou à tout le moins un clin d’œil – au groupe de punk rock français éponyme formé en 1977.