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Je préfère vous prévenir tout de suite, le plus frustrant dans Geno Cyber, c’est sa fausse « fin » car tout porte à croire que cette série ne fut jamais terminée par son créateur – ce que corrobore d’ailleurs l’édition américaine puisqu’elle aussi s’achève sur le même cliffhanger. Et cette frustration s’avère d’autant plus intense que le récit qui la précède présente des qualités certaines. Si l’univers de Geno Cyber en lui-même ne propose rien de bien nouveau – on y retrouve la plupart des truismes cyberpunks et surtout ceux de la culture manga sur ce thème, avec en tête de liste Bubblegum Crisis (1987-1991), l’œuvre-culte d’Artmic (1) –, son histoire tout comme son atmosphère, en revanche, ne manquent pas de charme.
Si le niveau problématique reste assez convenu – on y retrouve les habituelles mises en garde à propos d’une science devenue folle –, ce manga brille néanmoins par son ambiance qui se place bien loin des futurs cybernétiques aseptisés auxquels les productions actuelles nous ont habitués depuis maintenant assez longtemps (2) : noir et ultra-violent – de nos jours on dit « seinen » –, Geno Cyber nous propose un futur glauque et sombre, d’où toute notion d’espoir semble disparue, où l’homme est redevenu un loup pour l’homme et où l’enfer quotidien des masses laborieuses n’émeut plus les élites dirigeantes depuis belle lurette.
Bref, c’est un futur qui a besoin d’un héros. Et c’est là que Geno Cyber présente sa caractéristique la plus brillante, en nous proposant un cocktail somme toute bien assez adroit où les clichés cyberpunks croisent ceux du sentaï – ce qui convient plutôt bien avec l’aspect postmoderne du thème cyberpunk (3). Car Geno Cyber est bien le (super) héros enfanté par ce monde de passions anthropophages pour mieux le détruire afin qu’un autre puisse le remplacer – concept pour le moins original à l’époque et qui préfigure sous certains aspects le très recommandable manga court Abara (2005-2006) de Tsutomu Nihei, mais dans un registre graphique bien plus commun.
Graphismes qui, soit dit en passant, reflètent malgré tout l’admiration que porte Tony Takezaki au style résolument réaliste de Katsuhiro Otomo : le souci du détail joue ici un rôle majeur dans la retranscription des visions de l’auteur sur cet avenir tenu en otage par les zaïbatsus, de même que les chara designs tout autant palpables traduisent leurs passions et leurs folies avec une exactitude admirable. Enfin, on ne peut clore cette partie sans évoquer les divers mecha designs de très bonne facture, à défaut de se montrer vraiment originaux, qui rappellent bien sûr les travaux du studio Artmic à bien des égards – un gage certain de qualité…
Voilà pourquoi cette conclusion qui n’en est pas vraiment une frustre profondément, parce que tout ce qui la précède nous fait désirer une fin véritable, un récit à proprement parler – mais celui-ci n’existe pas en réalité, sauf peut-être dans la tête du lecteur si celui-ci a vraiment de l’imagination : ce n’est pas si rare après tout.
Reste une production aux accents d’expérimentation, qui permet d’apprendre à regretter que Takezaki n’ait pas produit davantage de titres tant son inspiration en fait un auteur à part entière…
(1) je rappelle que le même auteur illustra aussi le manga AD Police: Dead End City (1989-1990), cette préquelle d’AD Police Files, l’OVA de trois épisodes qui tient lieu de spin off à Bubblegum Crisis.
(2) il semble que les artistes, scénaristes et réalisateurs japonais aient été à ce point traumatisés par le Ghost in the Shell (1995) de Mamoru Oshii qu’ils en ont oublié que le cyberpunk ne s’arrête pas à des questionnements sur l’identité – au reste une problématique d’ordre philosophique assez ancienne qui ne présente que très peu de lien avec le postmodernisme cyberpunk…
(3) je rappelle à toute fin utile que le postmodernisme se caractérise par la réduction de l’ensemble des valeurs culturelles et artistiques établies au cours de l’Histoire au rang de simples produits au sommaire d’une liste dans laquelle il suffit de se servir : il se caractérise donc par un mélange des genres.
Adaptation :
En une OVA de cinq épisodes, sous le titre de Genocyber, réalisée par Koichi Ohata en 1994 et dont le scénario s’inspire très librement du manga original de Takezaki mais sans pour autant proposer une narration alternative vraiment plus satisfaisante ; ce titre présente la particularité d’être la première OVA sortie aux États-Unis avant de l’être au Japon.