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Sous ses dehors de clone de Mazinger Z (mêmes auteurs ; 1972), Getter Robo s’affirme en fait comme une étape importante dans la maturation du genre mecha, car l’engin vedette ici se compose en réalité de trois appareils distincts – des sortes d’avions à réaction – qui se combinent entre eux pour en former un seul. Et selon l’ordre dans lequel ils se combinent, l’apparence du mecha final diffère ; il y a en tout et pour tout trois combinaisons possibles, soit une pour chacun des pilotes qui prend ainsi la tête du robot, et donc des opérations, en fonction de la configuration adoptée : Getter 1 est la plus versatile, Getter 2 la plus rapide et Getter 3 la plus puissante – en passant de l’une à l’autre au cours du combat, les trois pilotes s’assurent la victoire.
Ce qui suppose un travail d’équipe réglé comme du papier à musique, soit une parfaite coopération entre les trois personnalités qui se partagent le pilotage de Getter. En d’autres termes, ils doivent s’entendre assez bien pour pouvoir travailler ensemble. Or, de par ses capacités sans pareilles, ce mecha exige de ses pilotes des dispositions athlétiques exceptionnelles pour commencer. De sorte qu’une fois remplie cette condition déjà bien difficile à satisfaire, on laisse aux candidats le soin d’apprendre à se supporter. C’est la conséquence directe de cette divergence majeure évoquée plus haut entre Mazinger Z et Getter Robo : ce dernier laisse la part belle aux caractères des protagonistes, c’est-à-dire à leurs conflits – et ceux-là peuvent faire preuve d’une très grande violence…
Car par-dessus le marché, chacun de ces pilotes présente une personnalité pour le moins… atypique – pour ne pas dire franchement asociale. Entre Ryouma qui veut laver la mémoire de son père d’un injuste déshonneur, Hayato le hors-la-loi qui fomente sa propre révolution sur les campus, et Musashi qui revient d’un ermitage d’un an pour trouver la voie du judo, on ne peut pas vraiment dire que nos héros s’affirment par leur banalité. De plus, il va de soi que de tels caractères rencontreront plus de difficultés que d’autres, plus communs, à apprendre à coopérer – encore que cet aspect aurait pu mériter de se voir approfondi davantage, ce que des héritiers de Getter Robo ne manqueront pas de faire.
Voilà pourquoi quand un seul maillon de cette courte chaîne faiblit l’équipe toute entière se trouve menacée. Un concept pour le coup bien japonais : l’individu comme partie d’un tout bien plus vaste que lui. Mais on y trouve une autre idée typiquement traditionnelle de la culture nippone et bien que celle-ci se cache derrière une autre, plus actuelle : la notion de gattai. Ce mot, que je crois pouvoir traduire par « accouplement », dans tous les sens du terme, désigne la combinaison que doivent exécuter les trois pilotes pour donner une forme ou une autre à leur mecha ; c’est une référence évidente à la symbiose qui unit les soldats d’une section au cours d’une opération, soit à l’esprit de corps des samouraïs pour replacer cet exemple dans un contexte japonais.
Or, la manière dont les différentes parties du mecha se combinent présente un aspect tout à fait sexuel : ces différents composants se pénètrent les uns les autres pour former une configuration spécifique, ce qui représente une métaphore assez évidente de l’accouplement de leurs pilotes – au moins sur le plan spirituel. D’autre part, l’amitié virile qui unit les guerriers déborde parfois sur des comportements homosexuels, ou assimilés, surtout dans les armées d’antan. L’exemple des grecs antiques est bien connu, quoi qu’il ne se limite pas aux soldats mais se bâtit néanmoins sur un amour de la figure virile, voire patriarcale. Gustave Flaubert, dans son roman Salammbô (1862), donna lui aussi une illustration de telles relations au sein d’armées du passé.
Quant à l’existence de tels rapports chez les samouraïs, c’est une thèse bien trop moderne pour apparaître dans les visions fantasmées de Miyamoto Musashi sur ce bushido qui n’exista vraiment que dans son imagination et celle de certains de ses contemporains (1) : en effet, l’admiration voire tout simplement l’affection pour la virilité sous-jacente à beaucoup de communautés de guerriers dans une société aussi féodale que patriarcale conduit souvent à des relations pas toujours bien vues, de la part de chroniqueurs soucieux d’exalter la voie du combat dans leurs écrits comme du point de vue du chef de telles milices dans le Japon traditionnel. Le réalisateur controversé Nagisa Ôshima en dressa d’ailleurs un portrait pour le moins corrosif dans son film Tabou (Gohatto ; 1999).
De sorte que Getter Robo correspond tout à fait à cette interprétation largement répandue maintenant de la branche « Super Robot » du genre mecha qui présente celui-ci comme une sorte de version modernisée du samouraï d’autrefois, sous les traits d’un guerrier à l’armure mécanique prodigieusement sophistiquée. Car il y a deux autres aspects typiques de Getter Robo : l’ultra-violence et le gore. Les combats, ici, s’articulent presque tous autour d’une avalanche de mutilations et de morts toutes plus sanglantes et scabreuses les unes que les autres – autre différence de taille avec le prédécesseur Mazinger Z évoqué plus haut. Outre l’abnégation de soi, Getter Robo retient aussi de la voie du guerrier d’autrefois toute l’horreur du corps-à-corps.
Ce qui n’est pas pour déplaire à ses pilotes. Ils sont assez timbrés pour ça : qu’il s’agisse de mitrailleuses lourdes, de haches à deux mains ou tout simplement de leurs poings nus – les leurs comme ceux de leur mecha, au fond ça revient un peu au même –, ils trouvent toujours ce qu’il leur faut pour faire leur affaire à leurs adversaires. Getter Robo, c’est viril, et on ne s’y encombre pas de subtilités inutiles : s’il n’a pas inventé la fameuse notion de « gar » (2), qui d’ailleurs ne reste jamais qu’une simple variante de ce nekketsu (3) typique du genre shônen dont le mecha est une itération parmi d’autres, ce manga l’a néanmoins poussée en son temps bien plus loin que la plupart des autres titres qui s’en réclamaient, et qu’il s’agissait de récits de science-fiction ou non.
Et voilà donc, au final, comment Getter Robo parvint à mêler ces deux éléments fondamentaux que sont l’eros et le thanatos à travers un récit certes aussi simple que musclé mais qui repoussa néanmoins à l’époque les limites du genre mecha, en s’affirmant ainsi du même coup comme une de ses évolutions majeures – et ceci deux ans à peine après la première révolution du concept que représentait Mazinger Z.
Quant à l’adaptation en série TV de ce manga, si elle édulcore beaucoup les divers aspects décrits ici, elle reste néanmoins bien assez fidèle pour se voir conseillée – mais en gardant à l’esprit qu’elle n’égale pas l’original…
(1) Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4), p.71.
(2) terme utilisé au sein des fans d’animes et de mangas pour désigner les personnages particulièrement nerveux et virils.
(3) littéralement « sang bouillant » : ce terme désigne la volonté inflexible de remporter la victoire, caractéristique de nombre de héros d’animes et de mangas qui se relèvent toujours des pires situation afin d’écraser leur adversaire.
Adaptations, séquelles et spin-offs :
Getter Robo fonde une franchise dont le succès se perpétue jusqu’à nos jours. Outre une adaptation en comics, sous la forme d’une apparition dans la courte série Shogun Warriors (1979) qui servit pour Mattel à faire la promotion de jouets importés aux États-Unis depuis le Japon, on peut citer sa suite directe Getter Robo G (mêmes auteurs ; 1975) qui connut elle aussi une adaptation en série TV. Mais on peut aussi évoquer les mangas Getter Robo Ark (mêmes auteurs ; date de parution inconnue) et Getter Robo Go (mêmes auteurs ; 1991) dont cinq des sept tomes connurent une édition française chez Dynamic Vision en 1999. Les adaptations en animes, en plus des titres déjà évoqués ici, comprennent plus d’une demi-douzaine de productions dont la dernière en date, le remake New Getter Robo (Jun Kawagoe & Yasuhiro Geshi), sortit sous la forme d’une OVA de 13 épisodes en 2004.