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Je ne connais pas de meilleure description de cette série pour le moins à part du père de Gaston Lagaffe, car ce qui caractérise les Idées noires d’André Franquin c’est justement leur manière de s’imprimer dans la mémoire de leur lecteur, voire peut-être même dans son inconscient : au contraire de l’écrasante majorité des productions de la narration graphique dans le domaine de l’humour, noir ou non, ces très courts récits continuent le plus souvent d’habiter leur lecteur bien longtemps après qu’il les ait lus. Sous bien des aspects, à vrai dire, ils se l’approprient, le prennent même en otage… En fait, vous ne trouverez rien ici de gratuit, mais au contraire de purs instantanés non de notre temps mais de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus sociopathe.
Il faut dire aussi que leur auteur n’y va pas par quatre chemins quand il décide d’épingler les idées reçues comme les aberrations, ou plus précisément ceux qui les colportent ou les commettent, la plupart du temps avec la plus totale bonne foi. Voilà pourquoi, au fond, et à travers ces portraits des réac’, des généraux, des beaufs, des politiques, des fous de Dieu, sans oublier les autres, tous les autres, et tous ici croqués d’un simple coup de crayon magistral par son sens de la caricature dans tout ce qu’elle a de plus incisif, de plus juste, Franquin se moque surtout de vous et moi, de nos travers et de nos défauts, ceux qu’on cache bien sûr mais aussi – et surtout – ceux qu’on refuse de s’avouer, ou pire encore, ceux qu’on ignore…
Pour le moment du moins, et la lecture des Idées noires peut nous amener à combler cette lacune. Et d’autant plus que ces gags se construisent souvent sur un double jeu, un effet de chute à deux temps qui évoque des frères siamois, pour rester dans l’esprit de ces courtes bandes : au rire (jaune et grinçant) suscité par la blague elle-même se superpose le plus souvent un autre, qui prolonge la première farce à travers une seconde en général bien pire, et qui y rajoute une couche elle aussi bien conséquente avec son air de dire « je t’ai eu » – et c’est vrai, Franquin nous a eu, à sa manière inimitable qui consiste à savoir rire de tout, et surtout du plus grave.
« Cela vient sûrement d’une tendance à la dépression qui n’était pas mortelle car ce sont tout de même des gags pour faire rire, non ? » André Franquin