Stevenson
s’aventura sur les rives de la science-fiction au moins une fois : dans L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, il présentait comme protagoniste principal un savant ayant mis au point une substance capable de faire surgir des tréfonds de son âme un autre lui-même qui se moque des conventions sociales au point de se montrer capable de toutes les extrémités et de tous les maux ; un autre lui-même non seulement dépourvu de la moindre compassion envers la détresse de ses semblables mais qui prend aussi un malin plaisir à voir leurs souffrances – bref, ce qu’on appelle de nos jours un psychopathe, même si ce terme est un peu galvaudé.Si cet ouvrage affiche des accents didactiques depuis longtemps centraux dans les cultures occidentales, en illustrant au moins de manière indirecte la nécessité pour chacun de pouvoir établir une distinction nette entre le « bien » et le « mal » afin de parvenir à vivre en société, et s’il illustre donc à merveille le conflit interne que cette distinction implique, il s’affirme aussi comme une œuvre majeure de la littérature d’épouvante, un classique du genre ; on peut aussi évoquer dans la liste de ses qualités un style ciselé avec grande finesse en plus de se montrer très facilement accessible, y compris par un lectorat jeune, ainsi qu’un scénario complexe dont les multiples rebondissements le rendent tout à fait comparable aux thrillers d’aujourd’hui.
Mais la richesse de cette œuvre se mesure aussi à sa dimension psychanalytique, faute d’un meilleur terme, puisque cet « autre » auquel le Dr Jekyll laisse place représente bien sûr l’inconscient tapi en chacun de nous et qui abrite nombre de choses dont nous préférons ne pas connaître l’existence. On peut d’ailleurs aussi y voir une représentation de cet archétype démontré par Jung qui représente une partie de la psyché formée de la part individuelle refoulée et qui se trouve à l’origine de nombreux conflits psychiques : « la part d’ombre » dont le nom pour le moins évocateur colle à merveille au propos de ce récit en particulier et de son ambiance unique.
Plus qu’une histoire d’épouvante, toute aussi sophistiquée soit-elle, L’Étrange cas… s’affirme surtout comme une allégorie sur une des composantes de l’esprit humain qui conditionne le plus notre vie de tous les jours, et sans même qu’on soit conscient de son existence. On peut d’ailleurs mesurer la pertinence de son propos et la finesse d’esprit de son auteur au fait que ce concept n’était pas encore exprimé en termes scientifiques quand