Les cavernes d’acier. - ISAAC ASIMOV
(Dans les romans, j’aime bien lire les épigraphes en entame de chapitres : )
Merle
a écrit de la science-fiction, et c’est bien ma veine !De l’intelligence des dauphins (Un Animal Doué de Raison), à la géniale vue post-apocalyptique de Malevil, ou encore, dans un avion vers l’incertaine destination de Madrapour, Robert
Merle
pose un regard minutieux sur l’Homme et sa destinée.Je m’assis sur mon lit, et j’embarque sur ce bateau en V, fait de papier et de mots précieux, pour m’échouer sur les rives d’une île. Ma chambre, subitement sans murs, s’ouvre sur le plein air et un vent marin vient souffler les pages.
Après une mutinerie à bord d’un navire, des hommes et femmes se retrouvent libres sur une île déserte. Une société se construit autour de cette communauté, et le calvaire débute. Les travers humains ne sont pas déguisés, montrant tour à tour leur trogne menaçante. C’est un déploiement de relations conflictuelles.
L'île n’est pas un roman de science-fiction, ouche !... Pour ma défense, Robert
Merle
:- raconte la mécanique d’une société : Sur cette île, l’engrenage des évènements est réglé comme les rouages d’une machine démoniaque. Les faiblesses, les jugements et les actions des hommes huilent ses ressorts.
- crée un lieu riche d’imaginaire : cette île paradisiaque est un microcosme, une source idyllique, un espace vierge et naturel, une totalité harmonieuse, ordonnée et close. Plus près des astres que l’odyssée de l’espace les nuits à la belle étoile, plus près de la mer que les profondeurs de 20000 lieux sous les mers, l’île est une entité quasi vivante qui accueille en pâture des hommes échoués.
- nous livre une utopie. Les visages de cette communauté revêtent tous les masques avant que Robert
Merle
fasse éclater la chimère ! Celle d’une société idéale, celle d’un bonheur partagé.LES PERSONNAGES DE L'ILE
27 îliens : Des peritani (des anglais) et des Tahitiens , deux cultures s’entrechoquent :
McLeod, le squelette, il est le catalyseur des conflits. Un vrai poison.
Ses lèvres s’écartèrent l’une de l’autre, et dans ce mouvement, les joues, au lieu de se remplir davantage, se creusèrent davantage, et son visage eut l’air plus que jamais d’une tête de mort. (…)
« Y a des gars qu’ils sont si épais qu’ils tiennent debout sans cervelle, rien qu’par l’poids. Mais moi, il m’faut une cervelle pour commander à mes os, sans ça j’flotterais dans l’air comme un cerf volant au moindre noroît… J’demande qu’à l’avenir le fils de garce qui menance de tuer l’copain, ou qui tire son couteau, j’demande qu’il soit jugé et pendu dans les 24 heures. »
Smudge et White, des caractères peu sympathiques, McLeod les a à la botte.
Purcell, alias Adamo, notre « héros », le plus sage sur l’île.
« Regardez, Hommes, les joues roses d’Adamo ! » s’écria Mehani avec un mouvement élégant de la main et de tout son corps, comme si le teint transparent de Purcell avait été, à lui seul, le garant de son intégrité.
L’argument paru à Purcell ridiculement hors sujet, mais il fit de l’effet sur les Tahitiens. Ils regardèrent les joues de Purcell avec une sorte de considération et cette considération parut redoubler quand Purcell rougit. »
: D
Mason, un des commandants du bateau, il perd les pédales, désabusé, un peu fou, il s’isole sur l’île à l’écart de ses matelots.
« On était en pleine imagerie. Le capitaine mourait en même temps que son bâtiment. Et faute de pouvoir sombrer avec lui, étant sur Terre, il avait au moins la satisfaction d’être pendu pendant que les flammes consumaient son navire… »Voilà donc à quoi il pensait, se dit Purcell, quand il se tenait si raide sous le nœud coulant. »
Omataa, une tahitienne immense, et plus forte qu’un homme, elle étreint ses amis en les soulevant de terre, et les étouffe contre elle pour leur dire plein de mots d’amour. Bonne vivante et sévère à la fois.
« Elle se mit tout d’un coup à rire aux éclats, le corps plié en deux, ses vastes épaules rondes secouées par saccades, sa poitrine se soulevant en ample ondulation comme la houle du Pacifique.»
Ohou, Tehahiti, Kori des Tahitiens mis malgré eux en marge.
Horoa, belle, et rustre dans ces relations avec les Hommes.
Mehani, beau, grand et fort, il est le fidèle ami (« frère ») de Purcell.
Hunt, il est roux, et bâti comme une armoire. Trapu, mais un peu ignare.
« Le mufle de Hunt était si écrasé, et de profil si dépourvu de tout relief qu’il avait l’air d’avoir servi d’enclume à un marteau-pilon. Hunt avait été boxeur dans son jeune temps, et pendant des années, sa pauvre tête de brute avait été martelée par les poings de ses adversaires. Et peut-être était ce cela qui l’avait rendu si stupide, si irritable, et qui donnait à ses petits yeux pâles leur air détraqué.
Johnson, le plus vieux de tous, manipulable et manipulé…
« -Laisse le parler. Toujours à l’asticoter… »
Johnson jeta un regard reconnaissant à l’Ecossais, et Purcell comprit dans un éclair le jeu de Smudge et de Mc Leod : le premier brimait le vieillard, et le second le « protégeait ». Moitié peur et moitié gratitude, Johnson se liait à eux davantage.
Taïta, laide, injurieuse, et violente. (Un joli cocktail)
Ivoa, la femme (la tané) de Purcell. Belle.
Baker (reproche à Purcell d’être trop tendre avec Mc Leod), toujours avec Jones, les fidèles amis de Purcell.
Purcell l’avait toujours connu ainsi : nerveux, tendu, impatient.
- « - J’suis pas d’vot’ avis, dit Baker au bout d’un moment. Quand vous avez une jambe pourrie, qu’est ce qu’on fait ? On vous la scie, avant qu’la pourriture, elle s’foute partout dans vot’corps. Mc Leod est pourri, vous direz pas l’contraire, il est entrain de pourrir l’île, et qu’est ce que vous faites pour l’empêcher ? »
(…) D’autres personnages… J’en passe.
EN BREF:
Le regard poignant de
Merle
et l’intelligence de ce « conte » ne laissera aucun lecteur indifférent.En fermant ce livre pour le reprendre un peu plus tard, je n’échappais pas entièrement à l’île, piégé de bon gré dans son enclave : Ce monde intérieur coupé du monde extérieur, c’est l’ile, c’est le livre, c’est la petite bulle de tendresse et d’imaginaire qui se crée dans un coin de la tête. Ce livre rappelle parfois le roman Sa Majesté des Mouches de William Golding.
Image issue de l'adaptation cinématographique du roman de Golding.
Ce livre n’est ni d’une barbante mélancolie, ni parsemé de descriptions « à pas de tortue ». Cette histoire est clairement fascinante. Et foisonnante d’images qui m'ont transporté. Robert
Merle
est un génial romancier, avec une écriture fine, une des plus belles que j’ai lu. L’île est un chef d’œuvre de générosité.Certains CSFeux ne démordent pas à sortir du genre, et tant pis, car…
Merle
a écrit de la science-fiction, et c’est bien votre veine !En commençant peut-être par Malevil, Un chef d'oeuvre tout pareil !
Pas lu en SF de
Merle
: Les Hommes Protégés.« L’île est une petite île, le village un petit village. On vivait les uns sur les autres. Au village, on étouffait maintenant. Il avait l’impression que l’état de tension qui régnait dans l’île avait encore restreint ses dimensions. »