C’est donc en pleine canicule d’août à LaBorde que Hap Collins se casse le dos à planter des centaines de rosiers, pour un salaire de misère, quand arrive Leonard Pine, canne en main pour claudication de rigueur.
Hap Collins et Leonard Pine sont opposés en tout. Le premier est Blanc, le second est Noir. Hap est hétéro et Leonard est gay. Collins est démocrate (quand ils présentent de bons candidats), Pine est républicain. Le valide aime le rock des 60’s tandis que le claudiquant ne jure que par la country. Malgré cela, ce sont les deux meilleurs amis du monde.
Leonard apprend à Hap qu'il vient d'hériter de son vieil oncle Chester. Il a été un père de substitution pour Leonard, jusqu’à ce qu’il le renie du jour au lendemain à cause de son homosexualité. C’est donc d’un homme qu’il n’a pas vu depuis des années que Leonard hérite.
Le voici maintenant propriétaire d'une maison de plain-pied et de 100.000 dollars, ainsi que de la clé d'un coffre à la banque. Autant les 100.000 dollars sont bienvenus, autant la maison laisse à désirer (mais pas autant que sur la couverture !). Située en plein ghetto, elle est juste à coté de la crack house du quartier, plaque tournante du trafic de stups. Quant au coffre, il contient un exemplaire en édition bon marché du Dracula de Brahm Stocker, et des bons de réduction… périmés, ainsi qu'un tableau que Leonard avait peint ado. Curieux inventaire à la Prévert, dont on se demande bien ce qu’il fait dans un coffre de banque.
Bien décidés à donner une nouvelle jeunesse à la maison, pour mieux la revendre, nos deux amis entreprennent de la retaper. Et quelle n'est pas leur surprise de trouver un coffre sous le plancher du salon ! Surtout quand ce coffre, à défaut de lingots, contient les restes du cadavre d'un enfant, avec des revues pédophiles.
Pédophile, l'oncle Chester ?
L'histoire est construite d'après un schéma simple, mais diablement efficace. Nos deux amis ont une partie des pièces du puzzle (les bons de réduction, Dracula, le coffre sous le plancher, le tableau), mais n'ont pas le plan d'ensemble, et il leur manque surtout pas mal de pièces. Ils vont devoir partir de ces indices pour reconstituer le tout. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les fausses pistes abondent, mais que la réalité est encore plus noire que ce que l'on pourrait imaginer. Car qui se soucie de la disparition de gamins Noirs, nés de mères célibataires, souvent prostituées et toxicomanes ? Même pas l'unique flic Noir du coin ! Oncle Chester est-il le coupable idéal, vu le coffre qu'il a dissimulé sous son parquet, comme le cadavre dans la nouvelle de Poe ? Ou bien, Illium, l’ami mystérieux d’oncle Chester que l'on retrouvera noyé, tandis que sur sa table se trouventdes sous-vêtements d'enfant et des revues pédophiles ? Etait-il le complice de Chester ?
Et que peut bien savoir la vieille MaMew ?
Loin d'Agatha Christie,
Lansdale
s'inscrit dans la plus pure tradition du roman noir américain, roman de critique sociale, noir et violent, pour reprendre les mots de Manchette.Lansdale
n'épargne rien ni personne. Le racisme tout d'abord, valeur la mieux partagée par les Noirs et les Blancs, qui évitent autant que possible de vivre ensemble et surtout plus si affinités. Florida le fera douloureusement comprender à Hap. L'esclavage et la ségrégation ont laissé des traces, qui sont encore loin de s'effacer.La religion n’est pas épargnée non plus. Car
Lansdale
n'est pas plus tolérant pour elle qu'elle ne l'est pour l'homosexualité : donnant-donnant. L'échange de nos deux amis avec le pasteur, autour d’un verset consacré à Sodome et Gomorrhe vaut son pesant de cacahouètes :"Voici, j’ai deux filles qui n’ont point connu d’homme ; je vous les amènerai dehors, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Seulement, ne faites rien à ces hommes puisqu’ils sont venus à l’ombre de mon toit." Genèse, Chapitre 19, verset 8
Servi par une écriture nerveuse à souhait, et des personnages suffisamment atypiques pour être vraiment attachants, L'arbre à bouteilles ouvre en fanfare le cycle des aventures de Harp Collins et Leonard Pine. Malheureusement, ce premier tome traduit est le deuxième de la série. Le premier n'étant toujours pas traduit, on peut en tout cas supposer que l'on y apprend pourquoi Leonard se ballade avec une canne. Mais n'en boudons pas notre plaisir pour autant. Sitôt fini ce premier tome, on n'a qu'une hâte : savoir ce que réserve le suivant, Le mambo des deux ours.
Un petit mot également pour la traduction remarquable de Bernard Blanc qui, non content de ne pas abuser des notes en bas de pages comme Jean Bonnefoy, restitue à merveille l'écriture de
Lansdale
, dans son humour (car on se marre bien, surtout au début) comme dans sa noirceur, mais aussi dans la qualité de ses ambiances qui ne sont pas sans évoquer parfois Shepard.On ne cesse de dire du bien de