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Olivier

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L'enchâssement

Ian Watson


L'enchâssement
Titre original : The Embedding

 Pour la présente édition :

Editeur : Le Bélial'
Collection : Kvasar
Date de parution : juin 2015
ISBN : 978-2-84344-134-9

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (5 réponses)

Disons-le tout net, ce livre est un chef-d’œuvre. Le terme chef-d’œuvre est on ne peut plus galvaudé. On doit même à ce sujet un ouvrage fortement recommandable, signé Charles Dantzig : A propos des chefs-d’œuvre.

Quelques considérations historiques et bibliographiques
Nous pourrons remarquer que ce premier roman a reçu, excusez du peu, le Prix Apollo. Ajoutons à cela qu’il a été originellement publié dans l’excellente collection Dimensions SF chez Calmann-Levy. Un rapide coup d’œil à la cinquantaine de titres de la collection montre des choix d’une grande qualité http://www.noosfere.org/icarus/livres/collection.asp?numcollection=216 orientés le plus souvent vers la New wave, nous y reviendrons.
Enfin, la réédition enrichie que nous avons a été publiée dans l’indispensable collection Kvasar http://www.noosfere.org/icarus/livres/collection.asp?numcollection=1975551302 où il côtoie le meilleur d’Andrevon (ses nouvelles), ainsi que Priest, Shepard et quelques autres.

Quelques mots sur l’enrichissement du roman originel
Cette réédition offre plusieurs bonus, et non des moindres.
Tout d’abord, une traduction révisée, ce qui est toujours appréciable.
Ensuite, une longue préface de l’auteur, qui revient sur son parcours et l’écriture du roman. Précisons d’emblée qu’il faut aimer le foutraque, car l’auteur y passe du coq à l’âne, tout en ne racontant que des choses passionnantes. Mais bon, que voulez-vous, j’adore quand les auteurs parlent de leurs œuvres, et de comment ils les ont écrites. De plus, le parcours particulièrement riche de son auteur me plait également.
A cela s’ajoute une postface fort intéressante, qui revient sur la linguistique en SF (jetez également un coup d’œil à ce passionnant dossier en ligne. Assez curieusement, bien que la sf s’y prête particulièrement, peu d’auteurs ont imaginé que les ET ne parlaient pas anglais, ni tiré le parti de tout ce que la sf pouvait offrir en la matière. L’auteur de la postface enfonce même le clou, en ouvrant de nouvelles voies à la SF : espérons que les auteurs s’en emparent !
Le tout se termine sur bibliographie complète, signée Alain Sprauel, maitre ès-bibliographie science-fictive.
Concluons sur la bien belle couverture de Manchu

Venons-en au roman
Comme son titre peut le laisser présager, il s’agit d’un enchâssement d’intrigues.
La première se passe au Royaume-Uni, dans le sous-sol d’un institut pour inadaptés où travaille le linguiste Chris Sole. Des orphelins du sous-continent indien y vivent cloitrés, totalement coupés du monde extérieur. Un ordinateur leur apprend à parler un langage enchâssé. Alors que nous dirions normalement : « Le chien a chassé le chat qui a mordu le rat qui a mangé le malt ». En l’enchâssant, cela donne : « C’est le malt que le rat que le chat que le chien a chassé, a mordu, a mangé ».
La seconde se passe au Brésil, avec l’ethnologue Pierre Darriand. Tiers-mondiste, il a baroudé aux côtés de la guerilla mozambicaine avant de partir étudier une tribu indienne du Brésil (sur les traces de Levi-Strauss ?). Les Xemahoa ont en effet une particularité : ils utilisent un langage courant pour les affaires profanes. Par contre, dès qu’il s’agit de la langue rituelle, le chamane et la tribu, sous l’influence d’un champignon hallucinogène, utilisent un autre langage, enchâssé. Or il se trouve que cette tribu est menacée : la dictature militaire brésilienne envisage de créer un gigantesque barrage hydroélectrique, qui noiera leur territoire.
Enfin, troisième et dernier fil de cette intrigue, les Sp'thra. Il s’agit du premier contact extraterrestre : seuls les hauts dirigeants russes et américains sont au courant, et ils supervisent ce contact dans le plus grand secret. Dépourvus de toute agressivité, les Sp’thra ne s’intéressent qu’à une seule chose : le langage ! Ils veulent obtenir six cerveaux humains, de locuteurs de différentes langues, pour pouvoir les étudier. Ils sont en effet convaincus que le langage va leur permettre d’échapper à cette-réalité, pour accéder à LA réalité.
En échange de ces bons services, ils proposent à l’humanité de lui donner les coordonnées de planètes habitées proches, avec lesquelles communiquer, ainsi que des techniques avancées de voyage spatial. Chris Sole va être mêlé aux négociations, et le langage enchâssé de la toute petite triub des Xemahoa va devenir un enjeu planétaire. Or voilà, sans ce champignon hallucinogène, point de langage. Or Pierre travaille à leurs côtés…
La boucle est donc bouclée et les fils de l’intrigue vont se resserrer au fur et à mesure, jusqu’à la fin du roman.

Un roman New wave
Plusieurs éléments inscrivent clairement ce roman dans la New wave.
Tout d’abord, l’attention portée aux sciences humaines, en l’occurrence, la linguistique. L’arrière-fond ethnologique sur l’Amazonie, renforce encore cette impression, tant nous sommes dans l’ethnolinguistique. La mise en avant d’une science humaine plutôt que de la hard-science s’inscrit pleinement dans la New wave. D’autant que les explications données par les Sp’thra pour le voyage interstellaire, et comment ils dépassent la vitesse de la lumière, sont assez fumeuses.
A cela s’ajoute la volonté de se situer hic et nunc, plutôt que dans l’avenir et ses empires galactiques. Trop dans le présent diront certains : la guerre froide est finie, et l’URSS n’existe plus. La guerre du Viêt-Nam et les guérillas tiers-mondistes paraissent bien lointaines pour le lecteur contemporain. Les relations russo-chinoises se sont également considérablement détendues. Mais cela n’a pour moi que bien peu d’importance. Combien de futurs imaginaires, bien souvent ancrés dans leur présent, ne sont pas aujourd’hui dépassés ou sans réelle prise avec le présent ? Qu’importe, car ce n’est pas là le cœur du roman. Ce qui le rend intemporel à mes yeux, c’est sa vision assez pessimiste pour les uns, réaliste pour les autres, que l’auteur a de notre espèce. Ses préoccupations écologiques, sur le devenir de l’Amazonie, nous mettent de plein pied dans le présent, et sonnent comme un avertissement prémonitoire (un peu comme l’épuisement des ressources alimentaires et la surpopulation dans Soleil vert de Harry Harrison). Comme Disch ou Silverberg, il ne se montre guère optimiste sur la nature humaine, tant les humains sont engoncés dans leurs querelles de clochers, les villages ayant été entretemps remplacés par les nations. Bien plus que Disch ou Silverberg, c’est surtout à Ballard que

Watson

me fait penser. Sa vision de l’espèce humaine, imbécile, immature et irrationnelle n’est pas sans rappeler l’oracle pessimiste de Shepperton. La fin du roman est d’ailleurs digne d’une apothéose ballardienne. Enfin, nous pourrions aussi évoquer Samuel Delany, bien sûr pour l’excellent Babel 17, mais aussi, pour ce qui est de sa vision de l’humanité, de sa nouvelle [i}Et pour toujours Gomorrhe, et sa vision dérisoire l’exploration spatiale. (Notons au passage que j’adore le Delany romancier, mais que le nouvelliste me laisse plus circonspect, à l’exception de cette nouvelle, magistrale, parue originellement dans Dangereuses visions.)

Alors, à lire ou pas ?
Plusieurs points justifient à mes yeux la lecture de ce roman.
Tout d’abord, l’originalité avec laquelle il s’empare du thème du langage. Delany s’était emparé du space-opera pour y fondre ses réflexions sur le langage.

Watson

reste lui les deux pieds sur Terre, et si l’on excepte les Sp’thras, qui arrivent finalement assez tard dans le roman, le roman s’inscrit pleinement dans la littérature la plus mainstream, aux antipodes donc du Space-op (ce qui n’enlève rien au génie de Delany, comme le montre également Nova). D’autant que les Sp’thras agissent d’avantage comme un miroir tendu à l’homme, et un révélateur de la nature humaine. S’ils parlent notre langue, ils sont cependant bien loin de pouvoir nous comprendre !
Le langage est ici clairement au cœur du roman, non seulement au niveau de chaque fil de l’intrigue, mais aussi pour les lier. Ce n’est plus, comme chez Delany, le contact extraterrestre qui permet de s’interroger sur le langage, mais l’inverse. La SF passe pour ainsi dire au second plan, un peu comme chez Dick, où tous les artefacts (les télépathes et les précogs d’Ubik par exemple) passent finalement au second plan.
Je n’ai pas encore parlé de Raymond Roussel, écrivain excentrique proche des surréalistes, dont l’ombre plane également sur ce roman. Là encore, le choix est tout sauf évident, car l’œuvre de Roussel n’est pas des plus accessibles. Tout comme la linguistique, parfois abstraite et aride, n’est pas forcément la science humaine la plus accessible au néophyte (que je suis).
Au final,

Watson

arrive à trouver l’équilibre délicat entre l’ambition littéraire et l’exigence intellectuelle.

Watson

arrive à renverser le travail de ses prédécesseurs (Delany, Vance, Orwell) en mettant la linguistique au premier plan de l’œuvre, en la construisant autour d’elle. Mieux encore, il en fait la clé de voute d’un roman d’à peine 250 pages, alors qu’avec un tel sujet, il pouvait facilement arriver à 400 pages. La concision –ô combien exemplaire- ne nuit en rien à l’intelligibilité du roman alors qu’il aborde des thèmes complexes pour les néophytes dont je suis. De la hard-science-humaine, d’une certaine façon, avec un souci d’accessibilité et de concision qu’il convient de saluer.

Roman pessimiste mais vertigineux, intelligent et intelligible, L’enchâssement est assurément une œuvre patrimoniale qu’il fallait rééditer. Saluons donc le travail exemplaire qui a été fait, et ne boudons pas notre plaisir.
Enfin, le choix des sciences humaines, le décor, Raymond Roussel, la linguistique et les personnages humains, (trop humains !), l’originalité et la discrétion des extraterrestres, font de ce roman une œuvre tout à fait recommandable à un public amateur de littérature, mais rétif à la sf. Parfaite illustration du génie littéraire de la science-fiction, il plaira donc autant aux amateurs qu’aux rétifs.




« Une silhouette gigantesque apparut dans le cône de lumière et descendit à leur rencontre […] d’un pas distrait de promeneur désabusé. Il faisait penser à la fois aux saints du Greco et aux statuettes émaciées de Giacometti. »

Il y a cet institut médical anglais qui, discrètement, se livre à des expériences linguistiques extrêmes sur des orphelins coupés du monde… Dans le même temps, au Brésil, dans un coin de jungle amazonienne promise à la submersion par un barrage titanesque, l’ethnologue français Pierre Darriand étudie le langage enchâssé réservé aux mythes du peuple xemahoa, une langue qu’on ne peut comprendre que sous l’emprise d’une drogue sacrée… Ailleurs, au coeur du Névada désertique, Russes et Américains connaissent le vertige d’un premier contact extraterrestre secret avec les Sp’thra, une race engagée dans une quête infinie, mystique, du langage… Avant que tout ne se lie, ne s’enchâsse, donc, avec pour horizon potentiel l’ultime libération, celle des esprits.

Né en Grande-Bretagne en 1943, diplômé d’Oxford en littérature anglaise et française du XIXe siècle, Ian Watson a enseigné dans les universités de Dar es Salam et de Tokyo, puis à Birmingham au milieu des années 70. Romancier (on lui doit une trentaine de livres), nouvelliste (une quinzaine de recueils), poète et essayiste, il a travaillé pendant deux ans (1990-1991) avec Stanley Kubrick avant que Steven Spielberg ne porte à l’écran le fruit de leur collaboration sous le titre A.I. Intelligence artificielle, en 2001. Considéré comme un créateur exigeant mais incontournable, Ian Watson vit désormais en Espagne où il poursuit son oeuvre.
Initialement publié en 1973, L’Enchâssement est lauréat du prestigieux prix Apollo.





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Cette critique est signée Jim
6 réponses y ont été apportées. Dernier message le 05/11/2010 à 17h39 par Jim

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