Le New-York des années 20.
La ségrégation s’impose avec férocité.
Harlem, Brooklyn, le Queens … etc.
Quartiers ghettos noirs où la précarité règne. Quartiers blancs au goût de paradis. Un mur, virtuel, entre les deux. Les flics patrouillent en Ford T et font tampon. Ils protègent les plus forts des plus faibles. Dichotomie à contraste accentué, l’argent et le luxe pour les uns, la dèche pour les autres. La vie à pile ou face sur la simple couleur de peau.
Charles Thomas Tester, 24 ans, traine une six cordes acoustique en bandoulière. Voix sans âme et instrumentiste besogneux. En tant que musicien de studio: pour lui pas d’embauche, les oreilles des autres lui bottent le train arrière. Malin et débrouillard, il fait la manche, chantant et grattant les cordes, sur les trottoirs des quartiers limitrophes où son absence de talent ne trompe que les blancs. Tombent tombent les pièces dans son chapeau renversé aux pieds des immeubles en promesse de gratte-ciel. Sa vie bascule quand il est embauché le temps d’une soirée par Robert Suydam, un vieil homme blanc et riche, adepte de sciences occultes. L’attendent les horreurs lovecraftiennes que vous avez tous et toutes croisées.
Thomas F. Malone, flic de son état, blanc, dans le sillage policier de Suydam, filatures et enquêtes diverses. Il y croise les pas de Charles Thomas Tester déjà deux doigts dans l’Ailleurs. Bienvenue en HPL Land, ses codes, ses atmosphères où rôde sans fin ce que l’on ne distingue ni n’explique que vaguement, une boule de terreur au fond de la gorge.
Les deux personnages sont en quête de leurs destins croisés. Ils vous y attendent. En compagnie de Black Tom. Mais qui est ce dernier ?
La présente chronique n’a pas été facile à écrire : « La ballade de Black Tom », malgré sa brièveté (143 pages), ne manque pas d’éléments à mentionner pour chercher à aller plus loin que sa simple lecture, de particularismes singuliers et charmants qui en font tout le charme ... le concernant tout est dans les détails.
Je vais essayer de faire court …Mdr.
Victor
Lavalle
est un auteur tout neuf, tout nouveau en France. 4 romans et un recueil de nouvelles déjà parus ailleurs. Le voici présenté, pour sa première publication hexagonale, dans la collection « Une Heure Lumière » chez Le Belial Ed. qui a eu l’idée saugrenue en ces temps de crise, mais apparemment justifiée au regard des résultats et de sa longévité inattendue, d’avancer sur le terrain des novelas de Science-Fiction et de Fantastique proposées sous un bel emballage. La série en est à sa 24ème publication (juillet 2020) et semble drainer à sa suite un bon nombre d’afficionados (et quelques réticents). J’y avais lu «Les attracteurs de Rose Street » de Shepard qui m’avait laissé assez satisfait. Je m’étais promis d’y revenir si ce n’est que le prix … (refrain connu me concernant). Qu’ici soit remercié quelqu’un qui se reconnaitra et qui, à titre de réciprocité à venir, m’a permis de m’affranchir de l’obstacle.L’auteur, Victor
Lavalle
, dédicace en page 9 la présente novela comme suit: « A H.P. Lovecraft avec tous mes sentiments contradictoires » … car c’est bien de çà dont il s’agit ici tant le Reclus de Providence est dans l’air lovecraftien que le récit véhicule; tantLavalle
s’y montre échafaudant un hommage à HPL couplé à une critique douce mais palpable de certaines de ses considérations raciales, entre refus de ce qu’a parfois écrit le Maitre et vénération pour ce qu’il a imaginé, en un positionnement qui s’apparente à la nécessité de l’exorcisme. C’est du moins ce que j’y pressens au regard de la mode actuelle des récits qui revisitent Lovecraft, ses mondes obscurs et sa manière.Compliqué ? Oui et non. Je m’explique:
Victor
Lavalle
est noir, Lovecraft, beaucoup moins. Mais çà, les fans du « Reclus » le savent depuis longtemps, à force de l’avoir lu s’auto-positionner socialement de manière discutable. Sa plume, via Providence, s’en est fait l’écho, à longueur de nouvelles, novelas et romans. Mais bon, on lui pardonne : la fascination que l’on ressent à son égard est ailleurs : lorsqu’il entrebâille l’Ailleurs sous nos pieds, dans nos caves obscures et sonores, derrière nos murs et leurs papiers-peints décollés où les couches de salpêtre humide griffent les parois, au-delà de portes titanesques dévoilant les abysses insondables qui laissent entrevoir des entités menaçantes.Au-delà de cette gêne (voire crispation coléreuse) à sentir Lovecraft raciste et antisémite, l’auteur d’origine ougandaise s’est nourri de sa Mythologie des Grands Anciens. Naitra « La ballade de Black Tom » à cheval entre lumière et obscurité. Tout du long des 143 pages de la novella on sent le « oui, mais » qui pose à plat et retricote. Il y décrit le racisme ordinaire qui courbe les échines et fait baisser les regards devant l’homme blanc. Il y prend le contre-pied du positionnement d’HPL et c’est salvateur.
Nous avons ici affaire à la réécriture totale d’une nouvelle de Lovecraft. Son titre : « L’horreur de Red Hook » (je ne l’ai pas lu, je ne l’ai pas en stock mais elle est écoutable sur You Tube) ; elle est parue en 1927 dans Weird Tales. Passant pour être une des plus polémiques de son œuvre, Victor
Lavalle
s’en empare, la pose à plat et la retricote, usant de ses propres mailles et de son propre style, s’échappant de celui reconnaissable entre mille de son initiateur. Il offre une bonne part de l’intrigue à son chanteur noir, reconfigurant les faits relatés au regard de son ressenti d’homme noir, à sa manière, à l’aune de sa vérité. Que les choses soient enfin claires, que le lecteur juge, qu’il décide qui de lui ou de Lovecraft est le plus crédible.Au final, percevant à minima cette « ballade » comme un récit fantastique traditionnel bien mené et bien écrit, ou du moins dans la bonne lignée lovecraftienne, je lui trouve en bonus son intérêt principal dans le contrepied, la réécriture, la mise en avant d’un angle nouveau. Je suis prêt pour un autre voyage de la même eau, le principe me plait au moins au titre de curiosité.