En effet, ce dernier a eu la chance, dans ce qui est aujourd'hui le Sri Lanka, de connaître la Cité du soleil, où ne règnent que le bonheur, la paix et l'harmonie.
CAMPANELLA
s'inspire là du communisme des premiers chrétiens, pour nous présenter ce qu'il estime être la cité idéale, par laquelle se régénéreront à la fois l'humanité et le christianisme. Curieux mélange d'astrologie, d'astronomie et de morale chrétienne (vue ici sous l'angle de la religion naturelle), c'est en fait une terrible Cité totalitaire que nous dépeint l'auteur. En effet, tout passe par et pour la collectivité, l'individu y est nié, à commencer par ses désirs, puisque tous ses besoins sont comblés. La sexualité, par exemple, reste limitée à la seule reproduction (les femmes sont mises en commun, et l'amour n'y existe pas plus que le couple ou les sentiments), sous des conditions eugénistes rigoureuses, où les périodes de reproduction sont déterminées par l'astrologie. Un des autres faits surprenants reste, comme nous l'avons évoqué, l'hétérodoxie quant aux positions officielles de l'Eglise catholique de l'époque. Il n'hésite pas, en effet, à critiquer ARISTOTE (pierre angulaire du thomisme), au profit de PLATON et surtout PYTHAGORE, voire d'aller jusqu'à défendre GALILEE et COPERNIC, en se basant sur un héliocentrisme alors condamné par l'Eglise, qui reste le fondement architectural et urbanistique de sa Cité. Curieux personnage qui défend alors des positions scientifiques avancées contre l'Eglise, qu'il soutient totalement par ailleurs. Comment cette mystérieuse cité isolée de l'Europe, a eu accès à de telles avancées scientifiques ? l'auteur se garde bien de nous le dire.Un autre fait frappant : leur religion. Il s'agit en effet d'un véritable syncrétisme abrahamique appliqué au pied de la lettre, basé sur une morale proto-chrétienne, que l'on peut déjà deviner dans l'austérité d'EPICURE. Et c'est bien là le propos de
CAMPANELLA
, homme de la Renaissance : fi de la scolastique et retour aux racines du christianisme, pour régénérer l'humanité. Catholique cependant, il n'en pourfend pas moins LUTHER en des termes peu amènes. Bien sûr, comme dans toutes les utopies, la froide perfection fait frissonner le lecteur, pris d'effroi, devant cette humanité si parfaite qu'elle n'a aucun désir, ses besoins étant satisfaits, à commencer par l'éducation, en particulier dans les domaines scientifiques. Mais surtout une humanité dont la vie est entièrement réglementée et contrôlée par la collectivité, et le triumvirat qui dirige la Cité, avec un curieux et improbable mélange d'aristocratie, d'oligarchie et de démocratie, sur fond de théocratie rappelant parfois les Incas. On y retrouve d'ailleurs l'un des fondements de la pensée deCAMPANELLA
, partisan d'une Europe théocratique dirigée d'une main de fer par le Pape, où la religion aurait la priorité sur l'Etat. L'individu n'existe pas en tant que tel, mais en tant que pièce d'un tout, pièce semblable à n'importe quelle autre pièce de ce tout, puisque chacun y est l'égal de l'autre : l'égalité passe ici par l'uniformisation absolue, jusque sur le plan vestimentaire.La lecture de ce court et glaçant opuscule reste d'autant plus recommandable qu'il s'agit d'une des premières utopies modernes (avec BACON et MORE), c'est à dire d'une des sources d'inspiration de la SF, à commencer par Ugo BELLAGAMBA.