Je regrette qu'il y ait tant de souffrance dans cette histoire. Je regrette qu'elle soit en fragments, comme un corps pris sous un feu croisé ou écartelé de force. Mais je ne peux rien faire pour la changer.
De la femme qui parle, nous ignorerons toujours le vrai nom. Nous ne saurons que le terme qui la désigne : Defred. Dans cette dystopie féministe qui nous présente une dictature religieuse installée dans une grande partie des USA, les femmes n'ont pas d'autre identité que leur fonction, et le nom de celui auquel elles appartiennent. Defred est revêtue de vêtements rouges, symboles de sa fécondité, et du fait qu'elle a été dévolue à un Commandant pour lui donner l'enfant que son épouse ne peut plus lui donner : Notre fonction est la reproduction ; nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire[...] Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c'est tout.
Par le regard de Defred nous allons donc assister à un accouchement, à un procés et une exécution, et à la vie de tous les jours, tout simplement : être accompagnée par Deglen pour faire les courses, être baisée par "son" Commandant de façon ritualisée, en présence de son épouse, et surtout être attentive, en permanence, aux signaux émanant de cet homme : Nous l'observons toutes. [...] s'il lui arrivait de défaillir, d'échouer ou de mourir, qu'adviendrait-il de nous ?[...] Quand même, ça doit être l'enfer, d'être homme, ainsi. Ca doit être très bien.
Ca doit être l'enfer.
Ca doit être très silencieux.
Defred évoque aussi ses souvenirs d'un autre temps, quand elle vivait dans sa maison avec son amour et leur petite fille, qu'elle travaillait, qu'elle avait des rapports difficiles avec sa mère, et des fous rires avec son amie Moira. Du passage d'un temps à un autre, nous aurons un tableau à la fois clair et imprécis, sachant que Rien ne change instantanément. [...]Il y avait des histoires dans les journaux, bien sûr, de cadavres dans des fossés ou des forêts, matraqués à mort ou mutilés, violentés comme ils disaient, mais il s'agissait d'autres femmes et les hommes qui faisaient ces choses-là étaient d'autres hommes. Aucun ne faisait partie des hommes que nous connaissions. Les articles des journaux étaient pour nous comme des rêves, de mauvais rêves, rêvés par d'autres. Quelle horreur, disions-nous, et c'était horrible, mais c'était horrible sans être crédible.
Cela fait un an que je me dis que je dois absolument chroniquer ce superbe roman (qui m'a été signalé par zomver, qu'elle en soit remerciée !), pour que d'autres le lisent. Il me semble que la dernière citation que j'en ai extraite vous donnera une idée de ce qui me paraît être son actualité, et sa pertinence.
Que le fait que ce soit un roman féministe ne vous en détourne pas : pour moi, c'est l'une des grandes qualité de ce livre que les hommes n'y soient pas stigmatisés, loin de là. La protagoniste est toujours consciente de ce que les deux sexes ont perdu en réduisant l'un des deux à l'état d'objet : l'amour ne doit trouver aucune prise.
En revanche, l'action est quasiment absente de ce roman, intimiste s'il en est, tout comme les grandes idées et les grands combats. C'est fait pour être à l'échelle d'une vie de femme étriquée, et de façon très habile. La petite voix de Defred n'est pas facile à oublier.