Topor
, qui marqua toute une génération avec Téléchat, fut un artiste protéiforme et de grand talent. Pour preuve, son premier roman, Le locataire chimérique dont Polanski, réalisateur et acteur, nous donnera ce chef-d’oeuvre que l’on sait.Trelkovsky, employé de bureau trentenaire et velléitaire, cherche désespérément un appartement. Grâce au tuyau d’un ami, il trouve un deux pièces. Sinistre : deux pièces en enfilade, dont seule la seconde est pourvue d’une fenêtre avec en sus les toilettes sur le palier. Mais c’est toujours mieux que rien, en ce temps où les logements sont si rares. Les négociations avec le propriétaire sont assez âpres, car l’aspirant locataire n’a pas de quoi payer la caution. Les deux hommes arrivent finalement à se mettre d’accord sur le montant, et y voilà Trelkovsky, devenu locataire après y avoir englouti toutes ses économies.
Dès lors, le roman va se scinder en deux fils narratifs étroitement et savamment entremêlés.
D’un côté, la relation d’identification morbide avec l’ancienne locataire. Apprend-il qu’elle est hospitalisée, suite à une tentative de suicide ratée, qu’il court lui rendre visite. Il y fait la connaissance de sa meilleure amie, et devient vite son amant. Sa nouvelle conquête aura tôt fait de l’introduire dans le cercle d’amis de l’ancienne locataire, et il n’aura dès lors de cesse de glaner des renseignements, pour rechercher leurs points communs, quitte à renier ses goûts pour les calquer sur ceux de la défunte défenestrée. Le voici aussi à explorer son appartement, à la recherche des traces de l’ancienne locataire : ses livres, quelques vêtements, puis un trou dans le mur où se trouve une dent…
De l’autre côté, sa réclusion progressive sous la pression du voisinage. A peine décide-t-il de pendre la crémaillère que tous ses voisins lui tombent dessus. Il ne faut jamais faire de bruit mais l’immeuble est très mal isolé. Le voici donc obligé de porter des pantoufles après 10 heures, n’écoutant plus ni musique ni radio. Il se retrouve donc vite à vivre en ermite, couché tôt le soir pour ne pas faire de bruit. Pour tuer le temps, le voici à observer les gens de l’immeuble d’en face. Cette occupation silencieuse lui permet d’observer des comportements qui lui semblent de plus en plus étranges.
En se mettant dans la tête de Trelkovsky,
Topor
nous refuse un regard objectif, extérieur sur ce qui se passe et cultive ainsi l’ambiguïté : Est-ce le délire de persécution ou bien la perversion sadique des voisins qui ostracise Trelkovsky ?Ecriture épurée et ciselée, ambiance étouffante, intrigue aussi précise et inéluctable que celle des meilleures tragédies grecques (dont la fin ne nous surprendra donc pas) : ce Locataire chimérique est assurément une lecture incontournable.