Apprentie à la Jurifiction, la police des livres, Thursday est placée sous l’égide de la terrible Miss Havisham, personnage du classique Les Grandes Espérances. Elle réside dans un roman policier stéréotypé et pour tout dire de si piètre qualité que ses personnages — le principal en tête, inspecteur solitaire et ami de la dive bouteille — redoutent la venue de la commission devant décider ou non de sa démolition, du retour mot à mot de chaque paragraphe à la mer des mots.
Le Puits des Histoires Perdues n’a ni la dynamique ni la maestria formelle de L'Affaire Jane Eyre et de Délivrez-Moi. Tout comme Thursday Next, l’intrigue de la série fait une pause. Aornis, la soeur d’Achéron Hadès, qui poursuivait l’héroïne dans l’opus précédent, est présente. Elle n’est malheureusement qu’un épiphénomène de la trame narrative. Émanation personnifiée dans l’esprit de Thursday, elle entraîne les rêves de celle-ci vers ses souvenirs les plus douloureux, en modifie certains, tente tout simplement de vider l’esprit de l’héroïne de tous souvenirs et toute expérience. Cet aspect de l’intrigue est survolé.
Le vrai sujet de ce roman de
Fforde
, un peu statique, enchaînant les scènes sans réelle progression de l’intrigue, est la vie interne du monde des livres, leur conception. On dirait que l’auteur cherche à mettre en mots le phénomène de la création littéraire. Il y réussit parfaitement à l’occasion de certains épisodes : un décor si bien détaillé qu’aucune histoire n’a été élaborée pour l’habiter, la résistance de l’intrigue aux changements que l’auteur souhaiterait y apporter, la disparition d’un pan de texte (mauvaise manipulation ?) et le bricolage hâtif visant à pallier cette perte, la tentation de l’émotion renouvelée chapitre après chapitre,...Tout cela est très bien vu, astucieusement délayé dans le roman, ou peut-être ces épisodes qui constituent l’essentiel du texte, le délayent-ils ? Richesse du roman, l’étude de la création littéraire en est paradoxalement la faiblesse, par manque de rythme, d’élan. Ce n’est qu’aux abords des cent dernières pages que Le Puits des Histoires Perdues renoue réellement avec l’intrigue.
Troisième volet de la série des Thursday Next, le roman n’a pas la fraîcheur, la volubilité protéiforme de ces prédécesseurs. Le monde réel de l’héroïne, développé précédemment par
Fforde
, était en lui-même si riche que sa quasi absence du Puits des Histoires Perdues procure à la lecture un sentiment de manque, comme si celle-ci était bancale.Il m’apparaît que le texte a eu moins d’emprise sur son auteur que l’auteur sur le texte. À trop vouloir démontrer / démonter le travail de l’écrivain, faire de clins d’oeil, le roman tourne en boucles toujours différentes, toujours voisines. Dommage car
Fforde
a non seulement du talent, de l’irrévérence et des lettres, mais aussi la capacité — rare — de créer du nouveau et de susciter le désir de lire, encore et encore, jusqu’aux classiques...Un univers qu'il a développé pour la quatrième fois dans Sauvez Hamlet qui sort en poche 10/18 en novembre 2008.