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Olivier

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Le sang sur le trottoir

Ed McBain


Le sang sur le trottoir
Première parution : 1981

 Pour la présente édition :

Editeur : Les Belles Lettres
Date de parution : 1998

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (4 réponses)

Scénariste des Oiseaux de Hitchcock, créateur du mythique 87e district, mais aussi auteur de Graines de violence (Rock around the clock au cinéma),

McBain

est également un nouvelliste fort talentueux.
En lisant le présent recueil, on sera surtout étonné de voir l'actualité des textes, pour la plupart rédigés dans les années 50 (et initialement censurés quand plusieurs parurent en France, dans la revue Suspense).
La nouvelle est par définition un genre difficile, plus encore que le roman. En effet, le roman vous laissera toujours de l'espace pour vous rattraper, et livrer au pire une oeuvre moyenne. Dans la nouvelle, c'est autrement plus difficile. La concision du texte est à double-tranchant : le texte est réussi ou raté. On trouve assez rarement des nouvelles moyennes.
Comme le titre l'indique, il ne faut pas s'attendre à lire du Agatha Christie, où l'assassin est démasqué puis arrêté, et l'ordre restauré tandis que l'on boit une tasse de thé.
Ici, c'est la noirceur, le désespoir, l'impossibilité de la rédemption : nous ne sommes pas dans le roman policier mais dans le roman noir.
Le thème des gangs, des bandes pour parler en bon français. Si cela a donné une très bonne chanson de Morrissey, cela nous donne également deux excellentes nouvelles.
Les ennemis nous cause d'un règlement de comptes d'un genre singulier. L'affrontement ne concerne en effet qu'un membre de chaque gang. Un affrontement à la roulette russe. Six coups et une seule balle. Comme personne ne perd, on en rajoute une, puis une autre. Seuls, ennemis de fait, les deux jeunes sympathisent. Ils se rendent compte qu'ils ont bien plus d'atomes crochus qu'avec leurs gangs respectifs. Des rêves et une vie d'ados tout ce qu'il y a de plus banal. Il est vraiment dommage d'en arriver là. Autant tout arrêter, non ? Le recueil n'est pas particulièrement tourné vers la nouvelle à chute, mais force est de constater que la chute, quoi que prévisible, est particulièrement glaçante.
L'autre texte sur les gangs, c'est Le sang sur le trottoir, qui ouvre le recueil. Imaginez une boum entre ados. Que faire quand vous n'avez plus de clopes ? Vous sortez sous la pluie, avec le blouson de votre gang, et vous allez en acheter. Sauf que vous ne savez que vous êtes attendu par le gang d'en face. Un méchant coup de couteau, et vous voilà seul, en pleine nuit, à agoniser sous une pluie battante, tandis que votre sang coule sur le trottoir, lavé par la pluie. Quelques personnes passent, mais à quoi bon les interpeller, quand votre bouche, à défaut de son, crache du sang ? A moins qu'ils ne viennent vers vous, mais encore faut-il qu'il s'agisse d'une personne comprenant ce qui se passe, et qui n'ait pas peur des représailles. Chant funèbre bouleversant, sur la solitude, sur une vie qui s'achève pour rien en pleine adolescence, c'est un texte magnifique. Il montre la violence, mais ne cherche pas à la juger. Elle est là, voilà ce qu'elle produit, voilà comment marche la société dans laquelle nous vivons. D'où cette lancinante question : à quoi pense-t-on quand on meurt seul, poignardé au nom d'un gang qui n'est pas là tandis que vous agonisez pour lui ? La nouvelle n'est pas à proprement parler une nouvelle à chute, mais sa fin, admirablement fignolée, vous marquera durablement.
La solitude là encore, avec Jusqu'à la moelle, où un toxico se retrouve seul dans une impasse glauque, avec une fracture ouverte à la jambe. La solitude, au pied de cet immeuble dont personne n'ouvrirait la fenêtre pour vous aider, ni même vous voir. Car que voir dans cette impasse glauque ? Enfin un peu d'optimisme, quoi que.
L'enquête et la déduction, façon Double assassinat dans la rue Morgue de Poe ont également droit de cité. Ainsi, Le flic écrasé, où deux flics essaient de trouver celui qui a écrasé l'un des leurs. Truand en fuite ? Il est vrai que la thèse de l'accident paraît peu plausible. Mais le truand n'est pas forcément celui que l'on croit, d'autant qu'il n'est pas coupable pour le coup. C'est juste un homme tout ce qu'il y a de respectable qui se retrouve dépassé, non par une logique comme dans Ennemis, mais par lui-même. Et quoi de plus encombrant dans une fuite qu'un flic ?
Déduction encore dans Nature morte, pour essayer d'élucider une affaire bien glauque : une jeune fille assassinée après avoir été victime d'une tournante. La quête d'indices, jusqu'à l'horreur, pour se rendre compte que les gens que l'on croit (si bien) connaître peuvent toujours nous surprendre, et rarement en bien.
Comme dans Une surprise pour toi, mon amour. Imaginez vous dormant dans un hôtel miteux, dernier barreau de l'échelle sociale avant la rue. L'échelle que vous avez dégringolé depuis vos ennuis professionnels et votre divorce. Quelle n'est donc pas la surprise de notre ancien détective privé de retrouver son ex-femme, et d'apprendre qu'elle est décidée à divorcer de l'usurpateur, pour se remettre à la colle avec vous. Trop beau pour être vrai ? Si la femme fatale est un classique du polar (du Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain à On achève bien les chevaux de Horace McCoy et j'en passe),

McBain

revisite ici ce mythe avec élégance, et surtout avec noirceur. Car ce n'est pas à un vieux singe que l'on apprend à faire la grimace.
Détective amateur également, le héros du dernier texte : Une brune pour une rousse.
Imaginez-vous marié et heureux, en voyage avec votre femme. Après une longue route, rien ne vaut une bonne nuit de sommeil. Louez donc un bungalow dans ce motel. Si le patron n'est pas des plus accueillants, il reste le seul à pouvoir vous louer une chambre dans le coin. Et quelle n'est pas votre surprise de vous réveiller avec une femme... qui n'est pas la votre ! Comme bien sûr ni le patron ni personne d'autre n'est au courant de rien, vous voilà enquêteur improvisé. Car seule la vérité pourra vous rendre votre femme. Le mieux à faire est de commencer par le début. En allant prendre une douche, et vous rendre compte que la cabine a un joli trou qui donne directement dans le bureau du patron. On comprend tout de suite mieux pourquoi il affiche des photos pornos. Et dès lors, vous plongez dans les emmerdes : corruption, proxénétisme, et autres joyeusetés, en passant par l'homicide. C'est avec un art consommé du suspense que

McBain

conclut en beauté ce recueil.
Mais rassurez-vous, nous n'allons pas nous quitter tout de suite.
Il faut en effet parler d'un autre thème récurent : la folie. Thème casse-gueule par excellence, tant on peut vite tomber dans les clichés. J'avais parlé de Bloch et Matheson. Commençons par le second, avec Association d'idées, un texte qu'il aurait sans aucun doute pu signer. Bien sûr, vous n'êtes pas fou. Les tests que vous fait passer le psychiatre vous montre bien que vous êtes sain d'esprit. A moins que le psychiatre ne soit la cause de tout ce problème. Et comment mieux guérir définitivement un problème qu'en s'attaquant directement à sa racine ? Un texte à chute, à l'écriture presque entièrement dialoguée. Percutant tant sur le fond que sur la forme, mais aussi sur la chute, cette petite pépite aurait sans doute pu être signée par le grand Matheson himself.
Bloch maintenant, avec deux textes qui ne sont pas de lui bien sûr, mais qui ne manqueront pas de rappeler l'admirable créateur de psychopathes de L'écharpe, Autopsie d'un kidnapping et Pyschose. Dans Le roi de coeur, c'est un vétéran de la guerre de Corée qui a du bol. Son frangin étant en vacances, il lui a proposé de garder son grand appartement. Vous voilà donc seul dans ce grand appartement. Le bonheur ou presque, à cause de cette gamine qui ne cesse de faire ses gammes. Quoi de plus ennuyeux, de plus dérangeant que ça ? Surtout qu'en même temps remonte ces souvenirs de la guerre de Corée. Ce petit coin tranquille du front, où vous jouiez au poker avec votre pote, et sa veine de cocu. Jusqu'à ce que vous ayez une bonne main. Il vous suffit en effet de changer une seule carte pour, si la chance est de votre coté, réussir une quinte flush si vous pouvez mettre la main sur ce foutu roi de coeur. Sauf que quand vous avez enfin de la chance au jeu, la fatalité ne peut être qu'ailleurs. Et vous voilà à jamais hanté par ce foutu roi de coeur, cette carte que vous connaissez par coeur, et qui vous ne pouvez plus voir. Alors pour oublier la gamine, vous prenez un jeu de carte, et vous faites une réussite. Et dès que vous tombez sur le roi de coeur, vous l'enterrez promptement dans le tas de cartes. Sauf quand votre frère a un jeu de canasta, qui se joue avec deux jeux de 52 cartes, donc 2 rois de coeur...
C'est avec un brio époustouflant que

McBain

fait monter la folie, dans crescendo aussi fatal que terrifiant, qui n'est pas sans rappeler le meilleur Bloch.
Bloch encore, avec Rôle de composition. Quoi de plus humiliant que d'être un has-been ? Un ancien acteur dont la carrière fut ruinée par l'alcool. Vous qui gagniez autrefois plus de 5.000 dollars en une semaine, vous voilà réduit à faire le père noël dans un magasin pour 100 fois moins. Et pire que tout, votre patron qui ne cesse de remuer le couteau dans la plaie, en vous appelant Nick au lieu de Randolph, et qui tient à vous humilier en vous remettant en personne l'enveloppe qui contient votre maigre salaire ?
La haine, comme prémisse au crime de sang froid, une revanche sur la vie, sur ce bonhomme qui prend un malin plaisir à vous humilier en vous appelant Nick, en vous renvoyant à votre alcoolisme passé.
Mais il n'y a pas que les pétages de plomb. Il y a aussi les criminels purs et durs.
Comme ces quatre complices qui montent un plan pour braquer une banque. Ca pourrait être du Dortmunder (le voleur hilarant de Westlake, qui rate systématiquement ses coups, comme dans l'exquis Pourquoi moi ?) : tout est parfait sur le papier, sauf qu'un imprévu vient tout perturber. Ici, c'est à la catastrophe que l'affaire va tourner. Il aura suffit d'un simple camion pour foutre en l'air ce braquage si bien réglé, alors que tout s'était si bien passé à l'intérieur de la banque.
Mais il n'y a pas que les criminels endurcis qui peuvent foirer leur coup. Cela peut aussi arriver au débutant de Son premier coup. Un simple coup qui tourne mal, et c'est toute votre vie qui peut se trouver foutue en l'air : tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous...
Ni débutant ni endurci, le héros que l'on trouvera dans A toutes pompes tient plutôt de la petite frappe. Le genre de type prêt à aller en prison à votre place, vous le truand respectable et plein aux as, contre une bonne rémunération, bien entendu. Et comme il pense à tout, il demande que ses bons du trésor soient libellés également au nom de ce fils que la prison l'a empêché de voir grandir : on n'est jamais trop prudent.
Là encore, pas de texte à chute mais, comme dans Le sang sur le trottoir, cette sacrée dernière phrase qui vous colle bien le cafard, qui vous plombe bien l'ambiance, qui vous rappelle la noirceur de la vie.
Remarquablement varié, puisqu'on va de la folie à la déduction, quoi que dominé par la noirceur et la fatalité, Le sang sur le trottoir met surtout en scène des types plutôt nés pour perdre, à qui la vie n'a pas fait de cadeau, et dont ils savent qu'ils n'ont rien à en attendre. Les maux d'hier restant ceux d'aujourd'hui, ce recueil n'a pas pris une ride et ne manquera pas de satisfaire les amateurs de noirceur, tout en vous laissant ça et là exhaler une bouffée d'optimisme.
Amateurs de polar, voici un bouquin à déguster promptement.
Zélateurs de la nouvelle, voici du grand art cousu main.
Enfin, amateur de sf qui ne connaissez rien au polar, n'hésitez pas à y jeter un coup d'oeil. La nouvelle noire n'est pas un genre très prisé en France, et les publications sont bien plus rares que les romans. Aussi, avec un recueil de cette qualité, n'hésitez pas une seule seconde :

McBain

, c'est vraiment de la bonne, pour peu que l'on ne soit point trop borné à une seule littérature de genre.




La plupart des nouvelles publiées ici sous le nom d'Ed McBain l'ont été à l'origine sous celui d'Evan Hunter. On y trouvera cependant le "noir" le plus dur et le plus désespéré qui est marque de nombre de ses histoires de la saga du "87e district". Ses nouvelles sur la délinquance juvénile sont particulièrement poignantes et sans espoir. D'autres se situent dans un univers proche de la folie qu'il dissèque de façon clinique. Toutes font la preuve de sa parfaite connaissance du fonctionnement des rouages de la police.


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