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zomver

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28/12/2004
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Enki Bilal (dessin), Pierre Christin (scénario)

Le sarcophage


Le sarcophage
Première parution : décembre 2000
Série : Les correspondances de Pierre Christin

 Pour la présente édition :

Editeur : Dargaud
Nombre de pages : 63
ISBN : 2-205-04979-8

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (3 réponses)

Le sarcophage est le cinquième titre d’une série intitulée Les correspondances de Pierre Christin dont vous trouverez ici un descriptif.

Pierre Christin est scénariste, romancier mais aussi journaliste. Au retour d’un reportage sur Tchernobyl réalisé pour Télérama, il a décidé de témoigner à sa façon de la catastrophe de 1986 et a écrit le texte de Le sarcophage. Enki Bilal l’a illustré. Il en est résulté un OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) réalisant une combinaison originale de textes et de dessins sortant clairement du cadre habituel de la bande dessinée, amha.

Le livre se présente comme une (fausse) plaquette promotionnelle conçue pour accompagner une demande de subventions/un appel à sponsors pour la création d’un Musée de l’Avenir sur le site de l’ex-centrale de Tchernobyl.

Format à l’italienne. Sur la page de gauche : un texte soigné et ciblé qui caresse le sponsor potentiel dans le sens du poil, sur la page de droite un dessin illustrant le propos.

Au fil de ces pages, nous découvrons les projets de salles du futur musée…

A l’entrée, on visitera la salle Glasnost, sorte de "charnier idéologique" où, sur fond de musique révolutionnaire, on s’imprégnera du caractère illusoire du bonheur promis par ceux qui pendant un temps ont fait l’histoire comme Pol Pot, Staline ou d’autres puis on pourra poursuivre la visite avec la salle des monuments historiques (bibliothèques, écoles, etc…). Rien de tel pour titiller ce fort sentiment de nostalgie qui habite les gens (prouvé par les études marketing)

On plongera ensuite dans l’hyperréalité car l’argument marketing du projet est de miser sur le vrai et rien que le vrai pour attirer le visiteur :

Comment résisterait-il au fait de pouvoir observer de vrais riches dans des vitrines mais aussi, dans des boxes, de vrais exclus de la société (des déviants, des malades, des chômeurs…) ?

Comment pourrait-il ne pas être friand de vraies interventions chirurgicales "en live" (pourquoi pas de la chirurgie esthétique et un concours "avant – après" avec retransmission planétaire ?)?

Comment pourrait-il hésiter à tester ("en live" toujours) sa réactivité lors d’exercices ludiques animés par d’authentiques cadres supérieurs auxquels il serait directement câblé. (Thèmes variés au choix : gestion d’une cellule de crise lors d’un incident nucléaire, flexibilité et plan social,…)?

Les salles prévues sont nombreuses, les thèmes alléchants (!!!), le succès garanti : le nombre de visiteurs attendus est de 2 à 3 millions par an !

A la sortie, bien sûr, on pourra acheter de menus souvenirs dans la galerie commerciale (pourquoi pas une miniature d’un produit de la société de consommation du XXème siècle ?)




L’étude est complète, glaçante et criante de vérité. Rien ne manque, ni le logo du musée, ni l’évocation des tenues (et des services) de sécurité, ni la couleur de l’uniforme du personnel (vert céladon parce que c’est une couleur "aux vertus à la fois démocratiques, écologiques, et sophrologiques")

Dossier en béton. Tiens, à propos de béton…

Alternant avec les pages luxueuses de la brochure commerciale, d’autres pages, en noir et blanc, nous parlent de Tchernobyl, celui d’après l’accident de 1986.

Des témoignages bouleversants:

" Vous aurez une minute pour chaque mission. Un lieutenant vous accompagnera. Il faudra courir jusqu’aux blocs de 40 kilos, chaque soldat devra en ramener quatre. Vous êtes avec moi ?"

"Il était recouvert d’excroissances noirâtres… Des vaisseaux éclataient et il avait des saignements… Une piqûre au moins ! De la drogue. Je le piquais moi-même… Il criait… Il avait mal… Toute la journée… Alors j’ai trouvé la solution : je lui injectais de la vodka "

...

Des photos aussi…

Arf ! Là, on a "pour de vrai", un goût de mort dans les neurones.


On se trouve balloté entre le malaise bizarrement jouissif de la visite du musée et l’horreur que l’on ressent à la lecture des témoignages.
Devant le pseudo-sérieux des propos "marketing" présentant le musée, on se prendrait à rire, complice du sarcasme acéré de Pierre Christin mais quand arrivent les pages de témoignages et de photos, on ne rit plus du tout et on communie avec l’auteur dans le dégoût, l’horreur et la peine.

Soulignant le fait que ce musée n’est qu’un projet, les dessins de Bilal sont sous forme d’esquisses et le dessinateur sert à merveille le propos. Personnages livides, regards absents, écorchés criants, câblés cauchemardesques.
Les couleurs froides dominent éclaboussées par quelques touches de rouge mais que ce soit le rouge d’un rouge à lèvres, celui d’un vernis à ongles ou celui du sang, c’est le rouge de la vie qu’on méprise, du sang des autres que l’on verse.

Quand le dessin rentre à ce point en résonnance avec le texte, cela s’appelle une réussite.


Pour ou contre le nucléaire ? Si ce livre suscite bien évidemment la question (le débat n’est pas simple et ne gagne pas à être caricaturé), il est clair cependant qu’il va bien au-delà.

Le message est clair : ce musée est le parc d’attraction le plus réaliste du monde, un parc à thème dont le thème serait la connerie humaine et ce que les témoignages et les photos nous montrent, c’est l’horreur qui en résulte.

Par le biais grinçant de ce Musée de l’Avenir, c’est l’inconscience, le manque de scrupules et de respect que Christin attaque. Ne nous leurrons pas, c’est aussi face à nous-mêmes qu’il nous place : si on en est arrivé là, la responsabilité en échoit à chacun, qu’elle passe par un choix délibéré, de l’inconscience, de l’ignorance ou, ce qui est le cas la plupart du temps, par une indifférence silencieuse.


Ce livre est dédié aux marins du Koursk.


PS Pour les aspects techniques, un livre assez remarquable est sorti De Tchernobyl en tchernobyls écrit par Georges Charpak prix Nobel de physique. Ce livre (que j’ai juste feuilleté) explique (et de ce fait "défantasme") le nucléaire, ce qui n’empêche pas son auteur de déclarer sur les ondes (*) :
"Le nucléaire ne doit pas faire peur parce que c’est du nucléaire mais bien parce que son exploitation est entre les mains de l’homme et que petit à petit la sécurité pâtit de la suffisance, de la prétention de certains et de la recherche à courte vue du profit maximum"


(*) Si la teneur des propos est bien celle-là, les ayant notés à la hâte en écoutant une interview à la radio, il n’est pas impossible que la phrase citée ne soit pas exactement celle prononcée.




Pour la fermeture de Tchernobyl, Christin et Bilal envisagent de transformer ce lieu hanté en Musée de l'Avenir. Proposition obscène ou préfiguration visionnaire ?

Avec LE SARCOPHAGE, se reforme l'une des plus belles équipes de la bande dessinée française, venantt clore ici une réflexion en images marquée de titres prémonitoires comme "Partie de chasse" ou "Bunker Palace Hotel".

On retrouvera dans cette "correspondance" d'un genre bien particulier, le même mélange d'information, d'humour noir et d'invention graphique.



L'image de la couverture apparaît déformée sur le forum (le format est à l'italienne) et je n'arrive pas à faire afficher une planche en mettant son url, je vous convie donc à aller regarder le site d’Enki Bilal où vous trouverez une très belle présentation des dessins de Le sarcophage.


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