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fabieng

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Alberto Breccia (dessin), Howard Philip Lovecraft (scénario)

Les Mythes de Cthulhu


Les Mythes de Cthulhu
Première parution : 2004

 Pour la présente édition :

Editeur : Rackham
Date de parution : 3ème trimestre 2008
Nombre de pages : 120
ISBN : 978-2-87827-115-7

La critique du livre
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R'lyeh
Mi-go
Apparemment, c'est un peu par hasard que le maître Breccia (voir chronique « Mort Cinder ») rencontre les textes de Lovecraft mais il voit rapidement que c'est mission impossible que d'illustrer ces textes là, tant ils inspirent un vertige abyssal d'horreur irreprésentable. C'est donc probablement pour ça qu'il souhaite s'y attaquer !

Les éditions Rackham ont ressorti ce trésor de 1979 dans un beau, grand (et cher) album en 2004 ; un livre qui fait l'objet d'une réédition en 2008 et qui demeure assez rare à trouver si ce n'est dans d'obscures boutiques ou d'oubliées bibliothèques (hum, et aujourd'hui via internet...). 11 textes illustrés dont quelques uns parmi les plus importants de Lovecraft : « la couleur tombée du ciel », « Chtulhu », « Celui qui chuchotait dans les ténèbres »...

Pourquoi impossible ? Parce que ses histoires ont ceci de magique que par leur description aussi monstrueuse que précise, elles laissent imaginer des horreurs indicibles qu'un dessinateur aurait tort de vouloir recopier au pied de la lettre ; ce que le texte magnifie, le dessin « précis » le rendrait au mieux anecdotique au pire ridicule. Breccia a compris que le réalisme, la précision ne pouvait pas rendre cet « indicible », il fallait les armes de l'abstrait, du non-figuratif, de la suggestion pour exprimer ce qui est « au-delà » de nos sens. Et le moins qu'on puisse dire c'est que Breccia est armé : collage de papier déchiré, photos trafiquées, crayon, grands jets de peinture, tâches informes, etc.

Graphiquement, ce livre est une merveille absolue, un jeu de « non-dit » d'une finesse sidérante, une maîtrise du noir et blanc effrayante : faire naître la plus profonde obscurité précisément par une utilisation diabolique de la lumière, et donc du blanc du papier. Breccia n'esquive pas non plus la représentation des Dieux-Monstres du Mythe, au contraire, il s'y attaque dans des grandes cases généreuses : Chtulhu lui même, dégoulis infâme, travaillé au doigt, au couteau, en fusion avec l'océan ; les abominables Mi-Go (voir planche)... Il signe là, pour moi, les images définitives du Mythe, la seule référence possible.

Breccia aurait pu se contenter de tableaux mais il a choisi la narration, la Bd, pour imposer à ces 11 récits, et à chacun, une ambiance durable et unique, par son traitement graphique – chaque fois c'est une succession d'images fortes qui conduit crescendo vers l'horreur final ; quelques exemples :

« La cité sans nom » voit déambuler un narrateur réaliste dessiné au trait, presque classique, dans un décor trituré de papier déchiré, trames, et montage photos

« L'abomination de Dunwich » est dessinée à la plume mais surtout au crayon, un gris jouant avec la matière du papier, idéal pour conclure dans une représentation éthérée et troublante de Yog-Sothot ; tel qu'on pourrait croire à une apparition.

« Celui qui hantait les ténèbres » est sans doute l'histoire la plus originalement traitée du livre : un montage très simple de photos, de dessins et de papier déchiré qui donne chair à la ténèbre et à l'architecture de l'édifice, personnage principal du récit.

« Chtulhu », ma préférée, pour son travail sur l'encre et la tache ; Breccia invente une matière étonnante, poisseuse, qu'il utilise pour dessiner la jungle, la cité cyclopéenne de R'lyeh (voir planche), l'océan et enfin le corps fantomatique de Chtulhu dont on comprend qu'il est la source de cette matière noire : l'encre de la Pieuvre immonde. Ce qui est l'aboutissement de ce travail d'artiste : la fusion entre le sujet du livre et sa forme.

Cependant, surtout quand on connait et aime ces nouvelles, on ne peut que constater qu'elles résistent malgré tout à l'adaptation. Le texte ne réussit pas totalement sa fusion avec l'image, trop de distance entre eux sans doute, l'ensemble reste au niveau du plus beau des livres illustrés ; mais en tant que BD, peu souvent on ressent le vertige du texte original ; peut-être trop fidèle ? Par exemple, « La Couleur tombée du ciel », je n'arrive pas totalement à y retrouver l'ambiance et le ressenti qui m'avait fait grand effet à ma première lecture. Pour les histoires que je ne connaissais pas comme « le cérémonial » ou « le monstre sur le seuil », l'impression est extrêmement forte, mais avec une envie d'en avoir « plus » malgré tout (on devient vite gourmand). L'univers de Lovecraft est là, puissant, monstrueux, terrible et de quelle manière ! mais le vertige de l'indicible, la Peur « métaphysique » ? Pas totalement sans doute... Bémol mineur pour cette très grande bande dessinée.

Mais la tâche était « impossible ». Alors, le plus magnifique des échecs ?



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