Roberts
, l’auteur du classique uchronique Pavane, ont été publiées en France, pour deux recueils seulement : Les géants de craie d'abord (et déjà chez OPTA) , ce Seigneur des moissons ensuite.On doit ce dernier à Daniel Walther, alors directeur de la collection Galaxie-bis, et qui tenait l’écrivain britannique pour un de ses nouvellistes préférés.
Au lu de ces textes, d’une belle qualité d’ensemble, je ne peux que me réjouir de cette initiative.
Néanmoins, pour constamment intéressante qu’elle fut, cette lecture m’est souvent apparue difficile… En effet,
Roberts
emploie, dans plusieurs nouvelles, une multitude de termes techniques (ressortant du domaine de la marine, de la batellerie ou plus largement de la mécanique), se montre aussi bien extrêmement descriptif que particulièrement allusif. Quant à la première nouvelle, elle comporte de l’allemand… non traduit en notes de bas de pages.Le recueil rassemble les textes suivants :
Weihnachtsabend :
Ce récit d’espionnage situé dans une Angleterre uchronique qui se serait soumise à l’Allemagne du Führer brille par une ambiance oppressante et une remarquable séquence dépeignant une chasse à courre saissante, puissante dans son évocation, perturbante dans son ambiguité.
Le bâteau blanc :
Incluse dans les dernières versions de Pavane, cette histoire conte l’expérience troublante d’une jeune fille, Becky, qui habite un village portuaire à l’atmosphère pesante et est obsédée par un grand navire blanc qu’elle voit comme une promesse d’aventure, de lointain, et d’émancipation.
Quand elle aborde enfin l’objet de ses fantasmes, dans un état second, elle découvre que sa réalité ne correspond pas à ses espoirs.
Une nouvelle sensible et touchante.
L’extinction des dragons :
Un parfum de science-fiction old school émane de ce texte, d’une base fort classique : sur une planète étrangère, un chercheur froidement rationnel tente de comprendre une espèce alien en voie de disparition et se voit adjoindre un jeune et fougueux pilote.
Quoique posés d’efficace manière, les rapports entre protagonistes sont très prévisibles, et la chute est un peu tirée par les cheveux.
Cependant, l’aura de mystère entourant les dragons (non reptiliens…), le jeu sur les apparences et un certain côté « mal aimble » rendent l’histoire agréable à suivre.
L’arbre de vie et Le lac de Tuonela :
Deux récits de voyages à la découverte de planète Xerxès et de la culture des Kaltis, peuples de bateliers ménacé par l’expansion terrienne.
Un périple inattendu pour le héros de la première nouvelle, victime d’un crash et dépendant des bons soins des autochtones qui le recueillent, ardement désiré par celui de la seconde, déterminé à remonter à la source d’une voie fluviale jadis légendaire.
Ces voyages initiatiques sont décrits avec une minutie parfois fastidieuse ; heureusement, ils débouchent sur des visions grandioses.
Les Seigneurs des moissons :
Dans une Alaska au climat bouleversé, les grandes nations du globe se partagent l’exploitation d’immenses champs céréaliers, d’une taille telle que les moissoneuses les parcourant s’apparentent à de véritables villes ambulantes.
Et chacun doit veiller à ne pas empietter sur la parcelle de l’autre, s’il souhaite éviter l’incident diplomatique.
Roberts
parvient à rendre palpable le confinement que créent, paradoxalement, ces espaces démesurés et dresse un portrait tant sensible que dérisoire de personnages se débattant avec leurs regrets et leurs illusions.J’ai perdu Médée :
Réalité fluctuante, personnalités fragiles et rapports incertains dans une campagne anglaise où des fragments de guerres de différents temps se téléscopent sous l’œil placide d’un héros quidam, touriste en son propre pays.
Une nouvelle qui, par ses motifs, ses jeux de miroirs, ses pièges, ses ellipses, rappelle la New wave britannique (si Keith
Roberts
n’en fit pas véritablement partie, nombreux sont ses compatriotes, relevant de ce mouvement, qui le citaient en référence).Un texte énigmatique ; pour moi, en tout cas : je n’y ai pas pigé grand-chose !
Au final, ce recueil ébauche le portrait d’un auteur cultivé, maîtrisant des formes narratives variées, creusant par petites touches la psychologie de ses personnages et sachant varier les cadres.
Pas de nouvelles « coup de poing » et, à mes yeux, pas d’intrigues mémorables ; mais quelques images fortes et plus encore d’ impressions tenaces.
À confirmer, à l’occasion, par des romans mosaïques tels le fameux Pavane ou le discret Survol.