« Il existe un monde, à l’envers du nôtre, qui en est l’exacte réplique. Mais deux lunes brillent dans son ciel et ses villes portent des noms différents. »
« Les soldats de la mer », comme l'indique le sous-titre, est une succession de chroniques inscrites dans un même contexte historique : celui de la naissance et de l’essor de la Fédération, alliance de trois (Laërne, Lauterbronn et Ozmüde) puis sept cités.
C’est donc 17 histoires indépendantes que le lecteur découvre au fil des pages. D’abord intrigué par la tonalité de ces récits puis, par les thèmes abordés – un mélange de fantastique et de science-fiction -, je me suis laissé peu à peu conquérir par le charme, volontiers désuet, se dégageant de l’ensemble. En relisant la phrase précédente, je me rends compte que le terme désuet n’est pas celui qui me paraît le plus adapté car « Les soldats de la mer » appartient à cette catégorie de textes qui échappent à l’outrage du temps puisque s’imposant d'emblée comme un classique. Et tout le monde sait que les classiques sont intemporels.
Le fil directeur de ces chroniques semble être de manière évidente cette Histoire de la Fédération qui rythme les 17 récits. La Fédération dont il est question, se révèle assez rapidement comme un décalque d’une Europe idéalisée, figée à la charnière des XVIIIème et XIXème siècle entre France et domaine germanique. L’ombre de la Révolution française et de l’Empire plane fortement sur cette Fédération. Néanmoins, celle-ci n’apparaît pas seulement comme la version alternative d’une révolution qui n’a pas trahie ses idéaux universels et d’un empire qui au lieu de s’imposer et d’exploiter, a éduqué et séduit. Yves et Ada Rémy ne sont pas dupes des réécritures biaisées de l’Histoire.
Cependant, pas de malentendu. Ceci ne constitue pas l’essentiel de ce livre dont le charme capte progressivement l'attention d’une autre façon et sur un autre point.
Loin de s’intéresser uniquement au devenir général de la Fédération, Yves et Ada Rémy nous racontent d’une plume au phrasé élégant les mésaventures personnelles d’individus, le plus souvent liés à l’armée, confrontés à des événements étranges ou tout simplement à leur destin. Certes, ce n’est pas la psychologie qui prime et l’on peut juger fatiguant cette répétition de caractères identiques – officiers courageux et irrésistibles, jeunes filles en extase devant le défilé des galonnés - mais l’ambiance fantasmatique bâtie autour d’événements éminemment surnaturels. Aussi ne faut-il pas être étonné de rencontrer au détour de ces chroniques des forteresse hantées, des ersatz de vampires, des armées perdues dans des forêts labyrinthiques, des doppelgängers en recherche d’identité, des spectres pathétiques, des lacs ouvrant sur d’autres mondes, des îles ensorcelées et bien d’autres surprises encore.
Ainsi, chaque récit constitue une pièce finement ouvragée d’un ensemble que vient rehausser, d’un coup de théâtre savoureux, l’ultime chronique.