| |||||||||||
Surtout qu’il est comme son nom l’indique, mort.
Ezra winston, vieil antiquaire, reçoit une amulette qu’il croit bidon, une étrange araignée. Puis tout se détraque, il se croit « taché » par l’amulette, et s’aperçoit qu’il voit désormais l’araignée partout : reflet dans les lunettes du médecin, marque dans la main d’un enfant, taches sur les feuilles mortes. Pris de panique, il s’enfuit et semble être entrainé dans d’incroyables rencontres, soumis à une série de coïncidences, trop improbables pour ne pas révéler une « trame » : comme si quelque chose ou quelqu’un voulait l’attirer à un endroit précis, à un moment précis. En luttant pour échapper à ce destin tout tracé, Ezra se retrouve précisément là où il ne voulait pas aller : sur la tombe de l’homicide Mort Cinder, précisément à l’heure de sa résurrection.
Oui, on nous l’a déjà fait le coup des « coïncidences étranges », et si le grand talent d’Oesterheld est d’inventer une histoire digne des grands feuilletons populaires (même dans la réédition de Vertige Graphic, il reste l’esprit « presse » de la Bd originale), il le fait en utilisant ou en mettant en valeur le génie graphique de Breccia pour établir un climat réellement effrayant. Dans la grande et belle lignée du Fantastique littéraire, c’est du climat que naît le trouble voire, chose très improbable en BD, la peur (de nombreuses BDs ont tentés de mettre en image les grands du Fantastique, sans grande réussite à mon avis – mais je n’ai pas lu le Chtulhu du même Breccia, et on m’objectera avec raison une « Chute de la maison Usher » de Corben) . L’ouverture de la série ainsi est d’une grande cohérence, mêlant parfaitement suspense, mystère et étrangeté. Mort Cinder est une BD bien connue pour son dessin, et bien souvent négligée pour son scénario c’est une erreur au moins pour les premiers épisodes (« les yeux de plomb ») : Oestherheld offre à son artiste une variation de scènes autour de signes et de lieux, d’ambiance ; et Breccia se déchaine.
L’immense intérêt de cette BD est pourtant bien graphique : une incroyable maitrise du noir et blanc, un travail époustouflant du clair/obscur (je sors les superlatifs). Breccia travaille le noir comme une masse, une matière à sculpter (pinceau, plume, doigt – arbres faits avec des empreintes – tâches, etc. Tout un attirail d’outils qu’il maitrise en totale liberté) et le blanc qui reste jaillit comme une lumière violente : incitant le lecteur à faire un travail de reconstitution des images, là où le trait ne dessine pas, l’esprit invente ou termine le dessin : des crânes, des vêtements naissent ainsi dans le vide, avec juste quelques tâches. Pourtant quand le scénario faiblit, la Bd faiblit, preuve s’il en était besoin, qu’une BD ne fonctionne que s’il y a alchimie entre un propos et un dessin. Magnifique cadeau de scénariste : s’effacer pour offrir un terrain de jeux à l’artiste. Et si le lumineux Oesterheld jaillissait en transparence de la masse d’encre de Breccia ?