Forum SF
  Critiques
  Critiques BD
  A propos du site
  L'Atelier
  Remue-méninges
    Le bistrot
    Annonces (une dédicace ? vous venez de publier un livre ?)
Pseudo :
Passe :
  Pas encore enregistré ?
  Mot de passe oublié ?
15 visiteurs actuellement
  Les forums de Culture SF
Olivier

Inscrit le :
02/09/2004
138 critiques
9422 messages
Consulter le profil de Olivier
Envoyer un message privé à Olivier

Liens de sang

Octavia Evelyn Butler


Liens de sang
 Pour la présente édition :

Editeur : Au Diable Vauvert

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (3 réponses)

Californie, 1976.

Dana vit dans un monde civilisé, puisqu'elle s'est mariée à l'homme de son choix. L'esclavage et la ségrégation ne sont plus qu'un souvenir douloureux de plus en plus lointain. Une Noire et un Blanc se sont mariés, sans que quiconque n'eût brandi quelqu'interdiction à leur amour.

Son mari a enfin réussi à percer en littérature, et son plus grand succès romanesque leur a permis d'acheter une maison à San Francisco.

Ils filent le parfait amour, après un début un peu difficile dans la vie. Jusqu'à ce que Dana ressente un étrange vertige et s'évanouisse.

Elle se réveille au bord d'une rivière, où elle sauve un jeune garçon, Rufus Weylin, de la noyade.

Elle est ensuite regardée très étrangement par les proches du jeune homme. Il est vrai qu'en 1815, on sait assez peu nager, on ne connait pas le bouche à bouche, et les femmes ne portent pas de pantalon. Dans le Maryland comme ailleurs. Sans parler des relations entre Noirs et Blancs dans cet Etat esclavagiste.

Après ce bref intermède, Dana revient en 1976, où le temps s'est presque figé. Son mari a à peine eu le temps de se rendre compte de sa disparition. Comme si le temps écoulé au siècle précédent n'impactait pas celui de 1976.

Quelques jours après, elle est à nouveau prise de malaise, et se retrouve dans la chambre d'un Rufus plus âgé. Il tente de mettre le feu aux rideaux, mais Dana lui sauve à nouveau la vie.

Elle séjourne cette fois plus longtemps, et apprend à faire connaissance avec Rufus, avant de revenir en 1976. Rufus n'est pas un mauvais bougre, mais un jeune homme de son temps, dans une Amérique esclavagiste, dont la ferme paternelle repose sur l'esclavage.

"A présent, l'homme était solidement attaché à l'arbre. L'un des Blancs se dirigea vers son cheval et en ramena un fouet qu'il fit claquer une fois en l'air, pour le plaisir apparemment, avant de l'abattre sur le dos du captif. Le malheureux se convulsa lâchant juste un hoquet. Il supporta encore plusieurs coups sans crier, mais j'entendais son souffle lourd et saccadé

Quand soudain, il craqua. Il commença à gémir : de longs sanglots poignants qu'on lui arrachait contre sa volonté. Puis il se mit à hurler."


Ses séjours vont devenir beaucoup plus longs, et elle va découvrir, sur la terre de ses ancêtres, la réalité de l'esclavage, et les vivre dans sa chair. Car être noir en 1876n sans certificat prouvant que vous n’êtes pas esclave fait de vous un fuyard, bon pour le pire. Elle va alors découvrir l’un des aspects les plus pervers de l’esclavage : être la propriété de quelqu’un qui peut se porter garant pour vous, peut vous sauver la vie, à défaut de vous éviter des sévices. Elle va faire la connaissance du père Weylin, et découvrir la réalité économique de la servilité.

Les maîtres ne sont pas forcément cruels ou pervers en eux-mêmes. Ils sont pris dans une réalité économique, qui oblige à avoir un rendement suffisant pour rendre la ferme viable, et assurer un certain niveau de vie en ayant des domestiques, eux aussi esclaves.

Dans cette économie précaire, tout faux pas, tout revers peut entraîner le pire : la faillite et la revente des esclaves à qui en veut, et qui peut s’offrir les meilleurs. Vae victis.

Ses séjours vont se faire plus longs, et se compter en semaines, puis en mois. A chaque fois, le scénario est le même : Rufus se met en danger. Elle aura toutefois la chance d’entraîner son mari avec elle, qui pourra la présenter comme son esclave, et lui éviter le pire.

Au fil de ses voyages, Rufus va passer de l’enfance à l’adolescence, puis à la vie adulte, tandis que ses parents vieilliront. Le garçonnet réceptif aux mentalités de 1976 va se révéler lunatique et instable, en proie à des désirs et des pulsions que son époque lui permet.

Le roman atteint un sommet quand Dana se retrouve seule en 1976, abandonnant son mari en plein début du XIXe siècle. Elle devra attendre que Rufus mette à nouveau sa vie en danger, pour retourner à nouveau dans sa ferme. Une ferme dont son mari est absent, et qu’elle doit essayer de joindre, à une époque où il n’y a pas de téléphone, où les voyages ne peuvent se faire qu’à pied ou à cheval, où votre couleur de peau vous empêche d’aller poster une lettre, et de devoir vous en remettre au bon vouloir d’un Rufus toujours plus instable.

Chaque voyage est aussi, pour elle, l’occasion de voir ce que sont devenus ses compagnons de misère. Tom Weylin, le père de Rufus, est un homme madré et avisé, qui sait faire tourner sa ferme. Il surveille ses cultures comme il surveille la démographie de ses esclaves. Il sait deviner les qualités de leurs enfants, pour les vendre comme un éleveur vend les animaux qu’il fait naitre.

Cette dimension humaine est l’un des aspects les plus poignants du roman.

Butler

ne porte pas un regard moralisant sur cette époque. L’esclavage y apparait comme une réalité complexe, où rien n’est manichéen. Il n’y a pas de méchants Blancs qui martyrisent de pauvres Noirs innocents. Les personnalités sont complexes, et les intérêts individuels, la situation de chacun dans ce microcosme infernal peuvent parfois conduire à jouer contre la solidarité collective. C’est sans aucun doute ce qui rend d’autant plus forte sa condamnation de l’esclavage. Son refus de tout manichéisme, de tout angélisme, son sens de la nuance et la subtilité des relations humaines qui tissent ce roman en font une œuvre exceptionnelle, d’une intelligence trop rare, dont notre époque manque cruellement.

Et la SF dans tout ça ?

Comme pour Voici l'homme de Moorcock, le voyage dans le temps et les paradoxes temporels ne sont pas le cœur du roman.

Cette approche narrative originale, aborder l'esclavage dans toute sa complexité, par le truchement de la sf, ne sacrifie en rien notre bien aimée science-fiction.

Le voyage dans le temps n'a absolument rien de joyeux ni de pittoresque ou réjouissant comme chez Lyon Sprague De Camp. Le savoir acquis au fil des siècles se révèle utile, mais nous sommes loin d’avoir une apologie de l’american way of life et des self made men. Un siècle et demi à peine, sépare le roman et le temps où il a été écrit. On y mesure sans peine les incroyables progrès qui ont été accomplis. Le passé est ici rigoureusement reconstitué, par petites touches allusives. Une femme ne porte pas de pantalon, la médecine de l’époque était très empirique pour ne pas dire franchement approximative, et une simple fracture pouvait vous laisser estropié à vie. Les virus étaient inconnus, l’aspirine et tout un tas de choses triviales de 1976 l’étaient tout autant.

Contrairement à L’homme tombé du ciel, qui ne subit que le retard technologique de notre planète (ainsi que son soleil trop brillant et sa trop grande gravité), il peut se servir de choses banales de son monde pour faire fortune dans le nôtre.

Chez

Butler

, rien de tout cela. Le retard scientifique et technique est patent, et permet de mesurer les progrès parcourus sur une période infiniment courte à l’échelle de l’histoire humaine. Tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique.

C’est donc avec subtilité que

Butler

se plonge dans un passé douloureux, et porte un regard humain sur ses horreurs. Pour ce faire, elle s’appuie sur de nombreux personnages, et ne fait pas des esclaves, des Weylin ou d’autres personnages secondaires des archétypes caricaturaux. Chacun est à la fois le produit de son époque, et de sa psychologie. Incroyablement charpentés, ses personnages auxquels on ne peut que s’attacher, malgré leurs côtés parfois très sombres, restent humains, pour le meilleur et pour le pire. Au fil des décennies parcourues par la vie de Rufus, nous voyons aussi l’évolution d’une société où l’esclavage est inéluctablement condamné par l’industrialisation.

Bouleversant, terrifiant, déchirant, ce roman aux réalités multiples, portés par des personnages d'une force peu commune; se hisse sans aucune difficulté dans mon panthéon littéraire.

J'ai rarement vu un roman qui réussisse à ce point, à mêler le passé et le présent, et qui propose, malgré sa noirceur, des personnages aussi riches et nuancés.

Si vous ne jurez que le space-opera ou la hard-sf, passez votre chemin. Nous sommes ici dans une œuvre qui s'inscrit clairement dans la New wave, comme le prouve l'amitié de

Butler

pour Delany et Ellison. Par contre, si vous aimez Sturgeon, Silverberg et les romans qui sont portés par la charpente de leurs personnages, n'hésitez pas. Ce n'est pas par hasard que j'avais évoqué Moorcock et le voyage dans le temps de Glogauer. Là où Moorcock explore la complexité d'un personnage et son impact sur l'histoire et les mythes,

Butler

explore elle la complexité d'une société encore assez proche de la nôtre, et de ceux qui y vivent.

Là où Moorcock agit en métaphysicien,

Butler

agit à la fois en historienne, en sociologue et en anthropologue, en se confrontant à deux époques, et à ceux qui y vivent.

En ce sens,

Butler

vérifie les mots d'une fameuse analyse du coup d'Etat qui permit à Louis-Napoléon Bonaparte de restaurer l'Empire en devenant Napoléon III : "Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants."

Nul doute que ce roman d'une romancière morte trop tôt ne cessera de peser lourdement sur le cerveau de ses lecteurs.

Un chef-d’œuvre vertigineux, comme on en lit hélas bien trop peu.

Alors surtout, ne passez pas à côté !


Je dédie cette fiche au regretté Daniel Walther, qui a fait connaitre Octavia

Butler

en France.




Née en 1947 en Californie, Octavia Butler écrit des romans de science-fiction immergeant le lecteur dans une société multiraciale. Liens de sang, marqué par un décalage spatio-temporel, ne manque ni d'humour ni de sensibilité. Ce roman a été plébiscité par le public afro-américain.

Dana est noire, Kévin est blanc. Mariés depuis peu, ils emménagent dans une nouvelle maison en Californie. Le jour de ses vingt-six ans, la jeune femme, prise d'un malaise, perd connaissance. Elle disparaît du salon, puis réapparaît quelques instants plus tard, couverte de boue.

Sans contrôler ni ses départs ni ses retours, Dana est propulsée au temps de l'esclavage et partage la vie de ses ancêtres dans une plantation du Sud.

Hallucination ? Cauchemar ? Le couple survivra-t-il à ces épreuves ?


Vous aimez ce livre ou cette critique ? Faites-en part à vos amis !   
  



Lire l'avis des internautes (3 réponses)

Science-fiction

, fantastique, fantasy : Culture SF, toutes les littératures de l'imaginaire

© Culture SF 2003 / 2014 - Conception et réalisation : Aurélien Knockaert - Mise à jour : 08 juin 2014

nos autres sites : APIE People : rencontres surdoués - Traces d'Histoire