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Un des premiers mangas d'Osamu Tezuka est enfin édité en France chez "Taifu comics" ! soit 56 ans après sa première publication en 1949 ! Il s'inspire bien sûr du film de Fritz Lang mais à peine, car à l'époque, Tezuka n'en avait vu que quelques photos, et n'en connaissait pas le scénario. Il avoue avoir été surtout intrigué par le personnage d'androïde féminin du film. La ville de Metropolis y a relativement peu d’importance, mais : "ça sonnait bien à mes oreilles". L’imagination foisonnante du mangaka s’empare donc d’une histoire sublimée pour en tirer un savoureux feu d’artifices.
Le Manga lui-même est une suite de péripéties plus ou moins loufoques, d'inventions graphiques qui fusent dans tous les sens, sans véritable construction scénaristique. Toute l'intrigue tourne autour d'un ancêtre d'Astro le petit robot : un enfant mutant créé de toutes pièces par un savant un peu fou, pour le compte du Duc Rouge, un infâme bandit ! Le Duc convoite l’enfant car il est doté de pouvoirs extraordinaires mais dont il ignore l’usage (voler, force surhumaine, mais aussi grâce à un bouton dans la bouche, devenir soit un petit garçon, soit une petite fille !).
On y trouve déjà les principaux personnages récurrents de Tezuka, mais encore un peu ronds, un peu naïfs : Kenitchi l’enfant malin, Oncle Moustache le détective japonais, le Duc, et tous les jubilants seconds couteaux de Tezuka etc. Bien sûr, on pense aux premiers Tintin, sans queue ni tête, avant le grand remaniement d’Hergé ; ils sont antérieurs à Tezuka, et on se demande à quel point ils ont pu influencer ce dernier : certaines séquences sont étrangement proches d’Hergé : Oncle Moustache découvre un passage secret dans un arbre qui le mène dans un réseau de tunnel, tenu par une secte d’encagoulés au service du Duc Rouge…
C’est un des intérêts du livre : comment Tezuka pille allègrement d’autres imaginaires : du cinéma, du dessin animé, de la Bd, du manga, pour en faire du Tezuka. Voir l’invasion de rats géants à têtes de Mickey… Non pas à la manière d’un plagiat mais parce que ces imaginations l’ont fait rêvé et qu’à son tour il a voulu les investir. Comme s’il s’emparait des jouets d’autres enfants pour jouer ses propres folies.
Autre jouet de Tezuka, et intérêt majeur de " Métropolis ", c’est l’art de jouer avec la surface de la page, les cases, et leurs interactions, les bulles, les digressions : un véritable plaisir de la narration, de la surprise et de l’invention, et du mouvement. Encore un jeu de sale gosse farceur. Tezuka semble découvrir en dessinant, les possibilités infinies de son art ; pour nous, lecteurs invétérés de bande dessinée, pas d’énormes surprises bien sûr, mais l’émotion de découvrir cet énergique laboratoire-témoin de la BD (voir extrait joint).
Le questionnement métaphysique (place de l’homme dans la nature, dans l’univers…), habituel chez Tezuka (culminant dans la série des " Phénix "), reste encore un peu moralisateur ici : " les progrès outranciers de la science ne risquent-ils pas un jour de causer la perte de l’humanité ?" c’est sur cette sentence que s’achève le manga. Mais la séquence finale qui précède annonce l’œuvre à venir, émouvante et
prophétique, loin de tout manichéisme.
Le manga a inspiré récemment un film d’animation, qui fait le lien entre le film de Fritz Lang et le manga de Tezuka ; un film assez étonnant graphiquement mais assez soporifique aussi, loin du mouvement, de la vie contenu dans le manga.