Rollet
publiait sous le riant pseudonyme de Lester L. Gore. le recueil de nouvelles Les douze heures de la nuit. Augmenté de trois textes, il reparaît aujourd'hui sous le titre de Quinze pas vers l'étrange.Au menu : beaucoup de fantastique, pas mal d'humour et une once de science-fiction.
Le recueil s'ouvre sur Le sanctuaire, où quand la construction d'un centre de retraitement et de stockage des déchets, au financement aussi douteux que ses garanties de sécurité, promet de détruire des hectares de landes et de bois, les maîtres-d'oeuvre du chantier vont se heurter à des ZADistes pleins de ressources : le Petit Peuple du folklore celte, fort de sa puissante magie et de son irritante espièglerie.
Tour à tour critique, mélancolique ou truculent, ce récit très cinématographique est une introduction très plaisante à l'univers de Serge
Rollet
, qui par son équilibre narratif (l'auteur sait manifestement faire effet sans trop en faire) laisse présager au lecteur qu'il est en de bonnes mains.Et cette confiance fraîchement acquise n'est pas de trop à l'attaque du second texte, Le Berserker, dont le "héros" n'est autre qu'Adolf Hitler, période pré-Chancellerie.
Un thème récurrent du recueil apparaît pour la première fois : l'invocation (volontaire ou non) de dieux très anciens. Ici, le dieu en question est aux Asgardiens ce que les Titans sont aux Olympiens : des entités plus archaïques, barbares et incontrôlables.
Mais le pire n'est-il pas ce désir ardent qu'ont certains hommes de se laisser posséder par ces forces pour massacrer ce qu'ils haïssent ?
Léo est une nouvelle brève mettant en scène une fille de huit ans en proie à un père abusif. Jusqu'au soir où s'apprêtant à commettre le plus ignoble, il sera sévèrement châtié.
Un texte qui évoque Stephen King ou le Graham Masterton de Hel.
Dans Métamorphoses se succèdent des éléments classiques : une route de campagne, un chat, un accident, une belle jeune femme.
Si le résultat est sans surprise, le style, concis et évocateur, fait la différence.
L'anneau de Seth est un récit d'inscription lovecraftienne : un chineur à le malheur de mettre au doigt l'étrange anneau que le hasard lui a confié. Il ne sait pas qu'il vient de sceller un mariage contre-nature qui ne bénéficiera pas équitablement aux deux parties...
Le dernier des Mokélés est une savoureuse nouvelle humoristique qui se hisse au niveau d'un texte qu'elle évoque irrésistiblement : Vilains poulets d'Howard Waldrop.
Dans le reflux du temps est la démonstration d'un paradoxe temporel, dans le cadre du Triangle des Bermudes. Une fantaisie menée avec application mais anodine.
Comme son titre le suggère, Nettoyeur de tranchées se passe durant la Première Guerre Mondiale.
Sur les champs de bataille de la Marne, une créature mythique et impitoyable prélève son tribut de sang.
Si la nature du monstre ne fait rapidement aucun doute, le texte utilise avec justesse son terrible décor et bénéficie d'une chute évitant joliment le manichéisme.
Les quatre récits suivants m'offre l'occasion de quelques réflexions sur la nouvelle à chute...
Souvent je lis des critiques jugeant ces fictions sur les seuls critères de l'originalité et de l'inattendu de la chute et le fait que le lecteur puisse avoir un temps d'avance sur le protagoniste semble un défaut rédhibitoire. Je ne suis pas d'accord avec ça. Si nous aimons tous les chutes brillantes qui retournent notre esprit en même temps que le récit (comme on en trouve, pour ne citer qu'un auteur mentionné en quatrième de couverture, chez Fredric Brown), il y a bien dautres plaisirs à retirer de ce genre : celui d'une mécanique bien huilée (le lovecraftien La mort sinueuse, à l'atmosphère d'angoisse bien rendue ; le post-apocalyptique Gibier, fable habile sur l'anthropomorphisme), de "l'arroseur arrosé" (le science-fictif Guérison) et même le délice pervers de voir un protagoniste s'avancer tout guilleret vers une issue en forme de mauvaise blague macabre (et ce même si ledit protagoniste est fort sympathique, comme dans Au pied de la lettre !)
Dans la nouvelle qui suit, Irish tale, la chute qui fait basculer une charmante balade touristique dans le fantastique paraît bien superflue. À mes yeux, ce court texte est la seule véritable fausse note du recueil.
Dans la peau réactive le mythe lovecraftien dans un contexte moderne, avec des personnages bien croquées et une horreur brutale.
Der Nachtrichter clôt le recueil de superbe manière.
La construction de ce récit (chapitrage, alternance de points de vue, importance du visuel) rappelle celle du premier texte ; mais le ton est tout autre.
Nous sommes en Normandie occupée, alors que le vent est en train de tourner pour les forces du Reich. Un officier SS muté dans un petit village n'entend pas qu'un seul juif du coin échappe à la déportation, aussi estimé que soit ce sculpteur dont l’oeuvre orne le parc municipal. Si le vieil homme ne se fait pas d'illusion sur le sort terrible qui l'attend, il ne se laissera pas mené à l'abattoir sans combattre...
Une nouvelle au fond classique mais spectaculaire et implacable.
Au bout de ces quinzes étapes, l'auteur aura montré une belle maîtrise de l'art narratif, un style sûr, sans esbrouffe, et un amour manifeste du fantastique.
Il n'est pas de ses écrivains dont l'originalité ouvre de nouvelles voies, ou dont la virtuosité produit des éclats inédits, mais si l'artisan de qualité a sa place dans l'écosystème du genre, alors Serge