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Cette BD pourrait se résumer à un mot, un seul : carnage.
Et pour faire « poétique » ou tout simplement enrober un peu, on rajoutera « total » : RanXerox, c’est ultra-violent et ce n’est pas beau (1), mais Dieu que c’est jouissif. Typique de son époque, cette période charnière entre les années 70 et les 80, et donc aux aspects cyberpunks – ou assimilés – assez marqués, RanXerox se caractérise par une gratuité totale de la violence, c’est-à-dire entièrement dépourvue de discours, morale ou baratin servant à justifier les actes extrêmes d’un héros dans son bon droit : ni cynique, ni amoral, et encore moins froid ou calculateur, RanX’ est en fait un personnage amoureux.
Par on ne sait quelle magie de la cybernétique qui lui tient lieu de cerveau, un signal en boucle dans ses circuits le rend fou d’amour pour la petite Lubna déjà évoquée dans le synopsis en italique ci-dessus. De sorte que quand il arrive le moindre pépin à la demoiselle, RanX’ réagit au-delà de toutes les limites du bon sens comme de la bonne mesure. Et, bien sûr, il arrivera plus d’un problème à Lubna tout au long de cet album, autrement ce ne serait pas drôle… Parfaite incarnation de l’anti-héros, et en particulier de l’anti-robot (2), RanX’ se veut donc pour le moins iconoclaste – ce qui somme toute correspond assez bien à l’air de son temps.
Temps qui se caractérisait par un faste et un somptueux, une grandiloquence tout à fait proportionnelle à la froideur et au cynisme de cette hyper-technologie galopante et de cet ultra-libéralisme alors en plein essor qui allaient laisser bien des gens sur le carreau – comme les victimes de RanX’, justement. Pour autant, cette série ne se veut en aucun cas symbolique ni même métaphorique : brute de décoffrage, à travers une démarcation pour le moins punk de La Belle et la Bête, elle nous renvoie à nous-mêmes, à nos pulsions les plus basses, les plus extrêmes – celles qui veulent se servir sans compromis et encore moins d’excuses : malheur à ceux qui se trouveront en travers de notre route (3).
Ce pourrait être une apologie de l’égoïsme et de la force brute s’il ne s’agissait pas avant tout d’une œuvre vide de sens : à aucun moment Tamburini et Liberatore cherchent à justifier les actes de leur personnage ; RanX’ est une brute, point. Il ne lui vient même pas à l’esprit de se questionner, d’échafauder d’autres tactiques, de contourner les problèmes : il les affronte et les élimine comme il prend son petit déjeuner. Mieux, tous les autres personnages des divers récits de cet album vont dans son sens, toujours : parfois pour l’utiliser, parfois pour l’aider, et le plus souvent pour le contrer bien sûr – autrement, il n’y aurait rien à raconter ni à dessiner…
Quant aux forces de l’ordre, elles brillent par leur absence : il y a RanX’ et les autres, et ceux-là sont avec lui ou contre lui – ce qui correspond à merveille aux schémas binaires de son cerveau artificiel d’ailleurs. De Rome à New York, de la rue à la scène de Broadway, à pied ou en taxi, RanX’ ne laisse sur son chemin qu’os brisés, mutilations, visages déchirés et cadavres de toutes les couleurs et tous les âges. Ainsi est RanX’ : hyper-brutal et tout autant basique, ce bourrin de silice et de peau synthétique n’a même pas le mérite d’aimer par amour véritable mais juste par une erreur infiltrée dans ses circuits.
Désormais une œuvre culte, applaudie dès ses débuts il y a plus de 30 ans et qui fit le tour du monde en un temps record, RanXerox ne mérite rien de moins que l’honneur de figurer dans votre bibliothèque. En fait, vous aurez bien du mal à trouver plus extrême, dans tous les sens du terme…
(1) certains parmi vous auront reconnu une déformation du slogan avec lequel Glénat vendit jadis l’édition fascicule du manga Akira au public français ; en aucun cas il s’agit d’un jugement de valeur sur les aspects artistiques de la série RanXerox, au demeurant tout à fait admirables.
(2) du moins tel que le concept du robot moderne fut défini par Isaac Asimov dans son célèbre cycle des Robots auquel, justement, le premier récit de cette compilation fait un clin d’œil assumé à travers son titre Aïe, Robot ! – jeu de mot évident avec le titre original américain du tout premier recueil de nouvelles du « Bon Docteur » sur les robots positroniques.
(3) le point commun avec la culture manga saute ici aux yeux : en montrant des victimes frappées par le malheur alors qu’elles n’ont rien fait pour le mériter, ni même pour ne pas le mériter d’ailleurs, RanXerox s’affranchit du manichéisme classique, et en quelque sorte chrétien, pour rejoindre les croyances shintoïstes – voir l’ouvrage d’Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4), chapitre six – ou du moins quelque chose qui y ressemble beaucoup ; à noter qu’une inspiration aussi asiatique convient somme toute assez bien avec les divers éléments cyberpunks, ou assimilés, déjà évoqués ici.
Note :
Un troisième album de RanXerox, intitulé Amen ! et dont le scénario original de Tamburini fut finalisé par Alain Chabat, vint s’ajouter à cette série en 1996 et n’est donc pas inclus dans cette compilation. Si l’ensemble des albums ne se trouvent plus que d’occasion de nos jours, une intégrale de la série parut néanmoins en avril 2010 chez Drugstore (collection Fantastique et Science-Fiction, 192 pages, ISBN : 978-2-7234-7568-6).