Siniac
ne l'a pas vécu, puisqu'il est né après. Mais il l'a néanmoins abordé (L'unijambiste de la côte 284). Ras le casque s'inscrit donc en terrain connu chez l'auteur.Le héros de ce roman, Rémi, est fiché sur le carnet B et à la Sureté comme anarchiste. Il fut même un proche de Raymond la Science. Seul l'héritage de son grand-père, une usine à papier et un bout de forêt l'a remis dans ce que d'autres appellent « droit chemin ».
C'est donc en patron rangé que la Guerre l'a cueilli. Bien sûr, on ne lui demande pas son avis. S'il faut mourir pour la patrie, il devra mourir. Alors que les généraux -dont Nivelle- meurent dans leur lit.
C'est donc en pleine débâcle du Chemin des dames que commence le roman. Rémi a évité par bonheur le Chemin des dames, la Somme et Verdun (les deux premières furent aussi meurtrières qu'absurdes, la troisième n'eût pour but que de saigner l'armée française).
Et comme il entend rester en vie, il compte bien déserter. Après tout, on ne lui a pas demandé son avis, avant de l'envoyer à la guerre !
Il décide donc de fausser compagnie à son régiment, et à se constituer prisonnier, histoire de finir la guerre pénard, loin du front, comme ses responsables. Par bonheur, il tombe sur un colonel, perdu lui aussi. Malheureusement pour le gradé, Rémi n'entend pas obéïr à ses ordres. Il en profite donc pour le fusiller, afin de lui piquer son uniforme. Car il est plus facile de se constituer prisonnier quand on est colonel, plutôt que simple chair à canon. Un colonel n'a aucune raison de déserter, puisqu'il n'est (presque) pas au front.
Voilà donc notre sympathique anar jouant au colonel, dans un fort allemand, au milieu des prisonniers français. Le voici donc à manger à table avec x fourchettes, sans savoir laquelle utiliser pour le poisson. Ou encore devoir assister à la messe, car notre colonel est un catholique fervent. Pauvre déserteur !
Malheureusement pour lui, il est reconnu par un ex-flic, ancien de la Sûreté. Patriote en diable, mais intéressé également, il prospose un marché à notre déserteur. Il lui lègue tous ses biens par testament, et notre ex-flic le fait passer pour mort.
Sachant que le responsable de la forteresse n'hésiterait pas à livrer aux Français un déserteur, et que les Français font de même, il est obligé d'accepter.
Ce n'est là que le début d'aventures rocambolesques, hillarentes, dignes par moment du meilleur Dortmunder ou de Luj' inferman et sa Cloduque.
Imaginez en effet devoir vous évader, avec l'appui de votre geolier, alors que ces hommes ont mal compris ses ordres... Penser également à fuir les barrages de la gendarmerie, pour ne pas finir fusillé suite à un Conseil de guerre. Puis... à revenir dans le château. De tout cela, et de bien d'autres choses encore, il est ici question.
Il va sans dire également que
Siniac
n'aime ni l'armée, ni le militarisme, ni la patrie. Ses opinions le portent d'avantage du coté des déserteurs, des mutins et des fusillés pour l'exemple, victimes d'une justice plus qu'expéditive.Plus proche donc, des Sentiers de la gloire ou de Tardi que de l'exaltation guerrière, impertinent, drôle et férocement antimilitariste, Ras le casque est un
Siniac
d'excellente cuvée.A lire.
Absolument !
P.S. : L'illustration est le tableau de George Grosz, "Les piliers de la société".