Car ici, l’accent est mis sur les données historiques propres à l’animation japonaise ; il ne s’agit pas pour autant d’un exposé chronologique de ce média asiatique bien particulier, mais bel et bien d’un examen détaillé des divers truismes narratifs et artistiques propres aux animes en regard de leurs racines historiques. L’ouvrage est donc, du moins en quelque sorte, immortel (1).
La raison en est que son auteur, Antonia
Levi
, est historienne spécialisée dans l’Histoire du Japon – où elle a d’ailleurs vécu de très nombreuses années : pour dire comme elle connait doublement bien son affaire. Ainsi, et au contraire d’autres auteurs d’ouvrages sur l’animation japonaise, elle se trouve tout à fait à même de relier entre eux les éléments propres à la culture du Japon traditionnel et les productions modernes de ce pays.Mais il ne s’agit pas juste de données purement historiques, car elle démontre aussi l’influence directe du théâtre Nô sur la mise en scène dans les animes ; ou bien le poids de l’art pictural traditionnel japonais de la gravure sur bois dans ces même productions ; ou encore l’adaptation des techniques de représentation minimaliste caractéristiques des compositions zen sur ces œuvres modernes. Je vous laisse découvrir le reste…
De plus, comme toutes les créations artistiques du monde, celles-ci reflètent toujours plus ou moins la société qui les a engendrées. Je dis bien « plus ou moins » car, on s’en doute un peu, il y a toujours des exagérations, ou plutôt des interprétations qui varient selon les individus et les idées qu’ils souhaitent transmettre dans leurs œuvres. C’est l’avantage de la démocratie et de la « pensée libre » qui la caractérise.
Antonia
Levi
s’efforce néanmoins de généraliser le plus possible, ce qui est bienvenu car ceci lui évite de se perdre dans des exégèses risquant vite de devenir épineuses, mais aussi tout à fait admirable quand on voit le nombre de productions qu’elle évoque et dont elle parvient malgré tout à saisir les idées de fond communes – en dépit de différences notables qui constituent en fait de simples variations sur un thème.Articulé autour de cinq thèmes principaux, allant des divinités aux femmes, en passant par la notion de héros, les nombreuses itérations des robots et diverses métaphysiques de l’existence telle que la mort, Samouraï fron Outer Space examine en détail de quelle manière le Japon contemporain s’exprime sur des sujets certes universels mais que cette civilisation interprète d’une manière fort différente de l’Occident.
Or, c’est bien de ces interprétations que découle une culture, celle-là même à partir de laquelle les conteurs et les artistes créent leurs œuvres. Voilà comment cet ouvrage s’affirme non comme une bible mais au moins comme un instrument de découverte, et peut-être même de référence, tout à fait indispensable pour qui veut mieux comprendre le Japon moderne – du moins à travers ses productions les plus populaires dans le reste du monde.
Toutefois, n’escomptez pas y trouver de quoi satisfaire votre soif de découverte de nouveaux titres – et surtout pas ceux de productions récentes, pour des raisons évidentes – car la plupart des œuvres citées sont bien connues, parfois même du grand public. Voyez plutôt ce livre comme une tentative pour éclairer ces œuvres sous un jour qui peut sembler nouveau à un occidental mais qui est en réalité ancestral.
Antonia
Levi
témoigne ici d’une érudition proprement étourdissante, non seulement sur l’Histoire du Japon et ses mythes et légendes traditionnels mais aussi sur la société japonaise actuelle dans tout ce qu’elle peut présenter de paradoxal – du moins à nos yeux d’occidentaux. Conformément aux racines de cette culture manga – et donc anime – qu’elle examine, son livre plonge dans le passé pour mieux expliquer le présent (2).À mi-chemin entre l’Histoire et la sociologie, Samurai from Outer Space est un ouvrage-clé pour qui veut comprendre les tenants et les aboutissants de l’animation japonaise.
(1) il n’est pas exclu que la récente ouverture de la culture manga / anime au reste du monde ait un tant soit peu altéré les spécificités évoquées, mais les évolutions que doivent engendrer une telle exportation restent encore à déterminer avec précision et me semblent pouvoir être considérées comme négligeables pour le moment.
(2) ce qui est certes typique des historiens, mais que l’auteur ait ici choisi de se pencher sur un sujet aussi moderne – voire postmoderne – compte tenu de son cursus entièrement académique reste pour le moins inhabituel et tout à fait digne de louanges.