Tancrède de Hauteville fut l’un des acteurs de la première croisade, un chevalier normand entraîné par son oncle Bohémond après le siège d’Amalfi vers la Sainte Jerusalem. Convaincu de se battre pour Dieu et d’étendre le bien sur les royaumes barbares d’Orient, Tancrède va vite comprendre que le royaume de la conscience qu’il avait imaginé n’est qu’illusion. Entre les massacres perpétrés par ses frères au cœur d’Antioche et de Maara, et les tractations politiques si éloignées du domaine de la spiritualité, Tancrède doute. Bientôt, il sent en son cœur que pour garantir le salut de son âme, il devra choisir un camp qu’il n’aurait jamais cru un jour tolérer, celui de ces infidèles barbares qui se sont bien souvent révélés meilleurs que les chrétiens les plus pieux. Pourtant la route restera hasardeuse et dangereuse au milieu de ce monde nouveau que va découvrir Tancrède….
C’est sur une trame historique que va donc prendre place le nouvel ouvrage d’Ugo
Bellagamba
. Nouvel œuvre mais surtout premier roman en solo, puisqu’on se souviendra de romans à quatre mains avec Thomas Day tels que L’école des Assassins et le Double Corps du Roi. C’est donc après son recueil de nouvelles intitulé La cité du soleil et autres récits héliotropes que le français nous offre ce Tancrède au sein de la désormais fameuse collection de la Bibliothèque Voltaïque des Moutons Electriques. Sous la très belle couverture signée Arnaud Cremet se cache 230 pages d’une uchronie qui force le respect.Uchronie en effet, puisque l’auteur va nous emmener au temps de la première croisade en restituant au lecteur tout le substratum d’une époque faîtes de guerres et de ferveur religieuse. Tancrède, à la base un croisé qui jouera un grand rôle au cours de la première croisade jusqu’à sa mort, deviens sous la plume et l’imagination de
Bellagamba
un homme en quête de son identité spirituelle et qui finira bien vite par comprendre qu’il doit faire des choix auxquels rien ne l’avait préparé lorsqu’il se trouvera confronter aux massacres perpétrés par les croisés en Terre Sainte. D’identité, il est essentiellement question dans cet œuvre, celle d’un homme qui doit trouver sa place tant physiquement que spirituellement pour ne pas trahir ce qu’il est et ce qu’il veut servir comme idéal. Tout le travail d’UgoBellagamba
sur ces 230 pages mène le lecteur au travers de la quête identitaire de Tancrède, il invite son lecteur à suivre le cheminement intérieur juste et nécessaire d’un homme qui ne l’est pas moins.« Voila donc ou nous en sommes lui et moi. Deux rouages sur le point de gripper. Je n’ose formuler l’alternative qui pourrait s’offrir à nous, si nous choisissons la désobéissance. Car que pourrions-nous faire qui soit utile à Dieu ou au Monde, si nous étions sans Foi ni Maîtres, sans armes, sans armée, sans étroits liens avec les acteurs en présence ? »
Servant ce récit par une plume impeccable et juste, quoique par moments trop froide et distante,
Bellagamba
mêle ici ses préoccupations au travers d’un questionnement sur la religion, la politique, l’identité et l’histoire. C’est une grande érudition qui parcourt d’ailleurs ce texte, une érudition impressionnante et qui forcément en apprendra beaucoup aux lecteurs assoiffés de connaissances sur cette période. On en apprend énormément sur les croisés mais aussi et surtout sur le monde musulman, chiite ou sunnite mais aussi sur les assassins d’Alamut. Le tout sans être didactique et servant au mieux l’histoire de Tancrède. Ceci empêchera le lecteur de tomber sur un ouvrage trop scolaire, d’autant plus que le livre tient en un nombre de pages qui évite la lassitude.De religions, il est énormément question. Bien entendu, le vocabulaire et verbiage religieux que l’on retrouve à chaque phrase ou presque, que ce soit chez les musulmans ou chez les croisés, peut prêter une certaine lourdeur à l’ensemble. Bienheureusement, tout cela se trouve contrebalancé par les personnages en présence et l’époque qui justifie cet emploi. Des lors, on peut s’intéresser au fond de l’ouvrage. Au cœur de la réflexion de
Bellagamba
, on sent poindre les questions centrales que sont la tolérance mais aussi la multiplicité des courants religieux. En effet, on se rend vite à l’évidence que chaque « coté » commet des atrocités et que Turcs ou Francs sont capables de se surpasser dans l’horreur, le massacre d’Antioche restant comme celui de Maara très éprouvant pour le lecteur mais non moins répugnant que le sort réservé au jeune Diogène. On comprend aussi bien vite qu’à l’image de Tancrède et Gaston qui se trouvent en désaccord avec les croisés, le monde des musulman est multiple et bigarré, non moins instable politiquement que ne l’est le monde occidental. Et tout cela, l’auteur nous le fait réaliser par les notes de Tancrède, du moins les supposées notes retrouvées par l’auteur.Plus loin encore, Tancrède et son histoire ne sont que le reflet d’un questionnement actuel, celui donc de la tolérance, de la religion mais aussi de notre identité. Tout comme Tancrède, le lecteur doit se demander ce qu’il est juste de faire en son âme et conscience. Ugo
Bellagamba
, au travers du prisme de l’uchronie, pointe du doigt notre époque actuelle et nous interroge sur nos actes et nos croyances. Car aussi efficace soit-elle, l’histoire de notre chevalier normand n’est rien si, tout comme l’Histoire avec un grand H, elle ne sert pas à nous faire méditer sur notre présent. C’est là aussi le tour de force d’UgoBellagamba
et certainement la plus grande réussite du livre, celle d’être non seulement passionnant et érudit mais aussi intelligent et réfléchi.Des rouages de l’histoire, on dira simplement que Tancrède est le principal et qu’il écrase d’ailleurs de son poids les autres personnages, assez effacé mais qui existent tout de même de façon plus subtile. On retiendra notamment ce frère de cœur de Tancrède, Gaston de Béarn au destin tragique et pourtant si symbolique, tous ces croisés et arabes qui jalonnent le récit ou encore Clorinde, l’amour de Tancrède. Celle-ci offrira un dénouement tragique mais aussi hautement touchant à cette épopée, au détour des pages d’un vieux manuscrit entretenu par le vieux Tancrède devant les yeux de son « fils », et c’est subtilement que l’auteur nous glisse dans l’oreille cette autre « religion » que l’on nommera science en guise d’épilogue…
« Quand je serai grand, je serai philosophe.
- Comme Aristote ?
- Oui, oui. Je serai comme lui. J’aiderai tous les hommes. Même ceux qui prient.
Il ne sait pas ce qu’il dit. Ou alors c’est moi qui n’ai rien compris, et ce, depuis le début de ma vie. »
10 ans d’écriture est un temps bien long, mais le résultat le méritait surement amplement. Tancrède est une histoire foisonnante, passionnante et intelligente, trois qualificatifs qu’il est rare de retrouver associer. Ugo