Sous bien des aspects, d’ailleurs, et c’est bien ce qui nous intéresse ici, cette idée sous-jacente à l’ensemble de ce livre, comme quoi le progrès technique modifie peu à peu notre vie de tous les jours, constitue presque une définition de la science-fiction (2). Formulé autrement, il s’agit d’affirmer qu’au moins certaines des rêveries de la science-fiction, ou du moins ces extrapolations techno-scientifiques taxées de fantasmes par des gens souvent mal inspirés, débouchent parfois sur des choses bien concrètes. Il s’agit bien sûr d’une vieille lune mais que tout lecteur de Jules Verne ne pourra réfuter qu’avec une grande difficulté…
La nouveauté que présente Wired for War tient dans ce que cet essai – tout à fait passionnant par ailleurs – a été rédigé par un universitaire, P. W.
Singer
, et surtout un spécialiste mondialement reconnu de la guerre au XXIe siècle – soit un domaine dont on ne peut pas dire qu’il rassemble des élucubrations destinées aux adolescents plus ou moins attardés, bien au contraire. Or, la guerre se veut souvent une accélération de l’Histoire, dont les rejetons technologiques finissent le plus souvent par entrer de plein pied dans la vie de chacun : ainsi en est-il allé de l’aviation, de l’énergie atomique, de l’ordinateur, des réseaux, du GPS, etc.Bref, de bien des façons, Wired for War légitime à lui tout seul près de deux siècles de littérature de science-fiction bien plus qu’ont pu le faire les meilleures œuvres du genre. En font la démonstration les citations en toutes lettres au fil des pages de ce livre de nombreux auteurs du domaine, des grands anciens comme Robert A. Heinlein (1907-1988), Isaac Asimov (1920-1992) et Arthur C. Clarke (1917-2008) aux plus actuels Greg Bear, Orson Scott Card ou William Gibson, comme des idées et concepts développés dans bien des ouvrages du secteur, mais aussi d’autres productions plus populaires comme les films, les bande dessinées ou même les jeux vidéo.
Pour cette raison au moins, tous ceux qui doutent encore de la pertinence de la science-fiction, quelle que soit la prétention de ses diverses incarnations sur les différents médias, se verront bien inspirés de reconsidérer leur jugement. Mais gare, car il se peut qu’ils se voient quelque peu bousculés par des concepts aussi novateurs que dérangeants, comme le transhumanisme ou la singularité technologique, que l’auteur traite ici avec le plus grand sérieux : c’est bel et bien le prix à payer pour un gain de sapience épistémologique – ce qui, du reste, représente bien une autre définition possible de la science-fiction…
Quant aux autres lecteurs, ceux déjà convaincus du bien fondé de la science-fiction, ils trouveront là des réflexions de fond sur la nature du progrès technique ainsi que sur son impact sur la civilisation à l’aune de ce qui reste encore à ce jour l’ultime incarnation de la barbarie mais à travers laquelle, pourtant, l’humanité accomplit des avancées qui comptent parmi les plus majeures.
(1) Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).
(2) Isaac Asimov, introduction à l’Encyclopédie de la science-fiction (Compagnie Internationale du Livre, coll. Beaux livres, 1er trimestre 1980, ISBN : 2-7318-0001-1).
Note :
Nombre des questionnements exposés par l’auteur dans cet ouvrage ont pris ces derniers jours une tournure publique inattendue : le lecteur curieux pourra en apprendre plus sur Le Monde, WikiStrike, France 24, CitizenPost et Rue89, entre autres adresses.