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Bienvenue monsieur, à «Meat the Press». J'espère que, en qualité de porte-parole en chef de l'administration,
vous vous êtes préparé à répondre à quelques questions difficiles.
Tout juste. Le Président doit faire face à une période difficile, qui nécessite une politique dure. Si cela
induit des questions difficiles, je suis prêt à endurer un peu de stress et de pression de la part de le presse,
ah ah. C'est ce que suppose la démocratie, n'est-ce pas ? Mais un mot n'est-il pas mal orthographié dans votre intitulé ?
Et où se trouvent les autres journalistes ? Newsweek et le New York Times ne devaient-ils pas être présents ?
Nous avons décidé qu'il était temps d'opérer quelques restrictions, comme l'a déclaré le Président en personne.
Nous avons formé un groupe de travail, les mauvaises questions ne seront donc pas posées. Nous avons compris que
la guerre contre le terrorisme nécessitait une sensibilité accrue concernant les questions de sécurité.
Admirable. J'apprécie - personne ne m'avait encore laissé l'occasion de dire, depuis que j'ai la possibilité de
parler en son nom, que le Président appréciait votre esprit de restriction et de responsabilité. C'est un exemple
pour nous tous. Mais l'émission semblerait mieux avec votre présentation habituelle, vous ne pensez pas ? Je sais
que je peux compter sur vous pour poser les questions adéquates. Et vous pouvez compter sur moi pour ne pas
répondre à celles susceptibles de gêner ou porter atteinte à notre sécurité nationale.
Vous ne pouvez pas savoir. Nous avons de nouvelles techniques d'interview, et vous pourriez vous retrouver
en train de répondre à des questions pour lesquelles vous n'en aviez pas l'intention. Qui plus est la constitution
du groupe nous confère une certaine respectabilité, ce qui nous laisse nos options.
Depuis quand la presse a-t-elle besoin de respectabilité ? Et où sont les caméras ? N'est-ce pas supposé être
un programme diffusé en direct ?
C'était avant le 11 septembre. Nous avons modifié notre présentation pour des raisons de sécurité. Nous ne
ferons pas de direct tant que nous sommes pas sûrs de nos questions et réponses. Nous avons une responsabilité
envers le public.
Soit, si vous insistez. Je suppose que tout ceci fait partie de la liberté de la presse. Allons-y, faites feu.
Demandez-moi tout ce que vous voulez.
En premier lieu, nous aimerions vous questionner au sujet de l'utilisation, par l'administration, de la torture
lors des interrogatoires. Dans un article récent du Washington Post [1], ...
Oh la ! Nous avions convenu qu'il n'y aurait pas de questions à ce sujet. C'est au-delà des limites fixées par
l'accord, vous vous rappelez ?
Certes, mais nous aurions été d'accord avec n'importe quoi pour vous avoir dans cette émission. Vous pouvez
assurément comprendre ces circonstances exceptionnelles nécessitées par ces mesures exceptionnelles. Laissez-moi reformuler la question.
Puis-je avoir un verre d'eau ? J'ai remarqué qu'ils ne m'avaient pas apporté de verre.
Vous aurez de l'eau plus tard. Laissez-moi d'abord vous questionner au sujet des prisonniers de Guantanamo [2].
Certaines dispositions de la convention de Genève relatives aux prisonniers de guerre sont-elles violées dans [3] ...
Bon sang, vous savez que je ne peux pas répondre à cela. Et puis-je avoir une autre chaise ? Cette chose me
rentre dans le dos.
Je verrai ce que je peux faire. Mais tout d'abord, parlez-nous des conditions de détention sur la base
aérienne de Bagram [4].
Elles sont difficiles. A quoi vous attendiez-vous ? [5] Ce n'est pas un salon de thé, et ces hommes ne sont pas
des prisonniers de guerre. Ce sont des terroristes.
Ne le sommes-nous pas tous, ces temps-ci ? En tant que représentant, pardonnez-moi, porte-parole, de notre
commandant en chef, ne pourriez-vous vraisemblablement pas vous-même être qualifié de combattant ?
Il y a une différence entre combattant régulier et hors-la-loi [6] . En attendant, cette chaise est extrêmement
inconfortable. Elle me coupe la circulation dans les jambes.
Je suppose que les différences deviennent un peu floues. Et je suis désolé pour la chaise. Nous pourrions
vous installer dans quelque chose de plus confortable, si vous étiez un peu plus coopératif. Nous n'avons
aucun intérêt à vous mettre mal à l'aise.
Que voulez-vous dire par " coopératif " ? Permettez-moi de vous rappeler que je suis ici votre invité.
Oh, nous en sommes bien conscients. Les deux gentlemen derrière vous, qui viennent juste d'arriver dans
le studio, sont ici pour s'assurer que vous restiez bien notre invité.
Hé, laissez-moi partir. Qui sont ces gars ? Pourquoi m'attachent-ils au fauteuil avec du ruban adhésif ?
Juste une mesure de précaution, de manière à ce que vous ne vous blessiez pas. Maintenant, laissez-moi
vous poser une nouvelle fois la question : y a-t-il actuellement des contraintes légales ou morales [7] dans
vos méthodes d'interrogation ?
Laissez-moi partir ! Je proteste !
C'est parfaitement votre droit. Et nous vous laisserons partir dès que vous aurez répondu à quelques
questions. Désirez-vous un verre d'eau ?
Oui, s'il vous plaît, pour l'amour de Dieu. Et cette bande adhésive est trop serrée.
Il est difficile de placer correctement l'adhésif. Mais on va apporter de l'eau. Je voudrais juste vous
faire remarquer que vous rendez la situation bien plus difficile pour vous-même en vous tortillant ainsi.
Vous m'interrogez sur des sujets hautement confidentiels. Je ne pouvais pas m'y attendre... Aïe ! Ca fait mal !
Ces gars peuvent parfois être un peu sévères. Ils sont Israéliens, vous comprenez. Ils manquent un peu de
subtilité, mais ils sont vraiment bons, et ne laissent pas de marques [8].
Mais que diable est cette chose ? Aïe !
Un genre d'appareil électrique. Ils ont toutes sortes de gadgets high-tech pour persuader les gens de parler.
Mais ils n'auront certainement pas besoin de ça. Tout ce que nous désirons, c'est une petite conversation tout
ce qu'il y a de plus candide concernant un sujet d'intérêt pour toutes les personnes civilisées.
Que savez-vous des personnes civilisées, espèce de monstre ? Cette interview est officiellement terminée.
Elle... Aïe ! Enlevez cette chose de ma tête. Je ne peux plus respirer !
Ne paniquez pas, ça risquerait d'être pire encore. Essayez de respirer plus lentement.
Pourquoi me faites-vous cela ? Vous savez que je ne peux rien vous dire. Ca me coûterait mon boulot.
Je comprends, vous avez vos principes, et je les respecte. Mais êtes-vous sûr qu'il n'y a rien
que vous puissiez nous dire avant que les Pakistanais n'arrivent ?
Les Pakistanais ? Comment se sont-ils retrouvés impliqués là-dedans ?
C'est un groupe international de presse. Nous avons dû les y associer, ce qui est un problème
parce qu'ils laissent parfois des marques. Mais ils nous accordent la marge opérationnelle dont nous avons besoin.
Je suis un citoyen américain. Mon Dieu, vous ne pouvez pas montrer cela à la télévision.
Nous pouvons tout arranger. Bien entendu, ça devient plus difficile après que les Pakistanais
aient commencé.
Je vous en prie, laissez-moi partir ! Laissez-moi respirer ! Je vais vous dire ce que vous voulez savoir.
Nous pouvons parler ? Soulevez un peu le capot, les gars, que nous puissions parler. Je me sens comme
Joan Rivers, ah ah. Je pense que nous sommes enfin prêts pour le direct. Bienvenue, monsieur, à «Meat the Press».
Vous avez déclaré être prêt pour des questions difficiles, alors les voici : torturez-vous des prisonniers dans le but
d'obtenir des informations ?
Exact, oui, mais uniquement lorsque c'est nécessaire. Uniquement dans l'intérêt de la sécurité nationale. Nous avons considéré
que certaines méthodes de persuasion étaient nécessaires.
Comme celles décrites dans l'article du Washington Post ?
Oui. Oui, celles-là mêmes, ainsi que d'autres que nous ne voulons pas évoquer. Certains de nos alliés ne sont
pas aussi délicats.
Délicat. J'aime ce mot. Je parie qu'il n'y a pas la place pour un délicat à Diego Garcia, n'est-ce pas ?
Ou à Guantanamo ?
Non ! Certainement pas. Maintenant laissez-moi partir, bon Dieu.
Je dois d'abord vous poser cette question, dans l'intérêt de l'information et du journalisme. Partagez-vous
ces informations avec les américains de votre plein gré ?
Oui, bien entendu, bon Dieu. Vous n'allez pas vous en sortir comme ça, vous savez.
Aucune forme de coercition n'a-t-elle été utilisée ?
Aucune forme de coercition ne l'a été.
Vous avez juste voulu en parler, de manière à ce que les américains puissent avoir un débat franc et ouvert
au sujet de la torture, c'est bien cela ?
Exact. Oui, Tout à fait.
Ok, c'est dans la poche. Bonne émission ! Maintenant, occupons-nous du verre d'eau. Prenez-vous un glaçon ?
Apportez-lui des glaçons les gars.
Pour l'amour de Dieu, laissez-moi partir !
Bien sûr que nous vous laisserons, suffisamment tôt. Nous allons juste devoir vous conduire pour quelques
jours dans un endroit inconnu [9], au cas où nous aurions de nouvelles questions à vous poser. Vous savez comment
nous, journalistes, sommes en ce qui concerne les nouvelles questions qui nous viennent à l'esprit.
Préférez-vous une cage ou une boîte ?
Bande de bâtards ! Enlevez ces chaînes de mes jambes !
Les boîtes sont plus chaudes, et nous en avons de plusieurs dimensions, y compris une qui est à
peine suffisamment grande pour s'y tenir debout. Etes-vous prêt pour de bonnes nouvelles ? Etant donné que
vous avez été si coopératif, vous êtes le prochain en lice pour une grande boîte de 5 pieds sur 5.
Encore un peu d'eau ?
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