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Meat the press !

Terry Bisson avait déjà prouvé son engagement politique avec son soutien à Mumia Abu-Jamal, alors condamné à mort aux Etats-Unis, dont il avait écrit une biographie («On a Move : The Story of Mumia Abu Jamal», Litmus Books, 2001).
Avec «Meat the press !», l'écrivain nous gratifie cette fois d'un court texte, présenté sous la forme d'une interview un peu particulière, dans lequel il critique les conditions de détention des prisonniers afghans sur les bases militaires américaines ainsi que les tortures dont ils seraient l'objet, choses dont la presse, outre-atlantique, commence à se faire l'écho.

Attention : ce document est une traduction. Vous trouverez le document original sur le site infinitematrix.net ou un lien direct depuis le site de l'auteur.

Bienvenue monsieur, à «Meat the Press». J'espère que, en qualité de porte-parole en chef de l'administration, vous vous êtes préparé à répondre à quelques questions difficiles.

Tout juste. Le Président doit faire face à une période difficile, qui nécessite une politique dure. Si cela induit des questions difficiles, je suis prêt à endurer un peu de stress et de pression de la part de le presse, ah ah. C'est ce que suppose la démocratie, n'est-ce pas ? Mais un mot n'est-il pas mal orthographié dans votre intitulé ? Et où se trouvent les autres journalistes ? Newsweek et le New York Times ne devaient-ils pas être présents ?

Nous avons décidé qu'il était temps d'opérer quelques restrictions, comme l'a déclaré le Président en personne. Nous avons formé un groupe de travail, les mauvaises questions ne seront donc pas posées. Nous avons compris que la guerre contre le terrorisme nécessitait une sensibilité accrue concernant les questions de sécurité.

Admirable. J'apprécie - personne ne m'avait encore laissé l'occasion de dire, depuis que j'ai la possibilité de parler en son nom, que le Président appréciait votre esprit de restriction et de responsabilité. C'est un exemple pour nous tous. Mais l'émission semblerait mieux avec votre présentation habituelle, vous ne pensez pas ? Je sais que je peux compter sur vous pour poser les questions adéquates. Et vous pouvez compter sur moi pour ne pas répondre à celles susceptibles de gêner ou porter atteinte à notre sécurité nationale.

Vous ne pouvez pas savoir. Nous avons de nouvelles techniques d'interview, et vous pourriez vous retrouver en train de répondre à des questions pour lesquelles vous n'en aviez pas l'intention. Qui plus est la constitution du groupe nous confère une certaine respectabilité, ce qui nous laisse nos options.

Depuis quand la presse a-t-elle besoin de respectabilité ? Et où sont les caméras ? N'est-ce pas supposé être un programme diffusé en direct ?

C'était avant le 11 septembre. Nous avons modifié notre présentation pour des raisons de sécurité. Nous ne ferons pas de direct tant que nous sommes pas sûrs de nos questions et réponses. Nous avons une responsabilité envers le public.

Soit, si vous insistez. Je suppose que tout ceci fait partie de la liberté de la presse. Allons-y, faites feu. Demandez-moi tout ce que vous voulez.

En premier lieu, nous aimerions vous questionner au sujet de l'utilisation, par l'administration, de la torture lors des interrogatoires. Dans un article récent du Washington Post [1], ...

Oh la ! Nous avions convenu qu'il n'y aurait pas de questions à ce sujet. C'est au-delà des limites fixées par l'accord, vous vous rappelez ?

Certes, mais nous aurions été d'accord avec n'importe quoi pour vous avoir dans cette émission. Vous pouvez assurément comprendre ces circonstances exceptionnelles nécessitées par ces mesures exceptionnelles. Laissez-moi reformuler la question.

Puis-je avoir un verre d'eau ? J'ai remarqué qu'ils ne m'avaient pas apporté de verre.

Vous aurez de l'eau plus tard. Laissez-moi d'abord vous questionner au sujet des prisonniers de Guantanamo [2]. Certaines dispositions de la convention de Genève relatives aux prisonniers de guerre sont-elles violées dans [3] ...

Bon sang, vous savez que je ne peux pas répondre à cela. Et puis-je avoir une autre chaise ? Cette chose me rentre dans le dos.

Je verrai ce que je peux faire. Mais tout d'abord, parlez-nous des conditions de détention sur la base aérienne de Bagram [4].

Elles sont difficiles. A quoi vous attendiez-vous ? [5] Ce n'est pas un salon de thé, et ces hommes ne sont pas des prisonniers de guerre. Ce sont des terroristes.

Ne le sommes-nous pas tous, ces temps-ci ? En tant que représentant, pardonnez-moi, porte-parole, de notre commandant en chef, ne pourriez-vous vraisemblablement pas vous-même être qualifié de combattant ?

Il y a une différence entre combattant régulier et hors-la-loi [6] . En attendant, cette chaise est extrêmement inconfortable. Elle me coupe la circulation dans les jambes.

Je suppose que les différences deviennent un peu floues. Et je suis désolé pour la chaise. Nous pourrions vous installer dans quelque chose de plus confortable, si vous étiez un peu plus coopératif. Nous n'avons aucun intérêt à vous mettre mal à l'aise.

Que voulez-vous dire par " coopératif " ? Permettez-moi de vous rappeler que je suis ici votre invité.

Oh, nous en sommes bien conscients. Les deux gentlemen derrière vous, qui viennent juste d'arriver dans le studio, sont ici pour s'assurer que vous restiez bien notre invité.

Hé, laissez-moi partir. Qui sont ces gars ? Pourquoi m'attachent-ils au fauteuil avec du ruban adhésif ?

Juste une mesure de précaution, de manière à ce que vous ne vous blessiez pas. Maintenant, laissez-moi vous poser une nouvelle fois la question : y a-t-il actuellement des contraintes légales ou morales [7] dans vos méthodes d'interrogation ?

Laissez-moi partir ! Je proteste !

C'est parfaitement votre droit. Et nous vous laisserons partir dès que vous aurez répondu à quelques questions. Désirez-vous un verre d'eau ?

Oui, s'il vous plaît, pour l'amour de Dieu. Et cette bande adhésive est trop serrée.

Il est difficile de placer correctement l'adhésif. Mais on va apporter de l'eau. Je voudrais juste vous faire remarquer que vous rendez la situation bien plus difficile pour vous-même en vous tortillant ainsi.

Vous m'interrogez sur des sujets hautement confidentiels. Je ne pouvais pas m'y attendre... Aïe ! Ca fait mal !

Ces gars peuvent parfois être un peu sévères. Ils sont Israéliens, vous comprenez. Ils manquent un peu de subtilité, mais ils sont vraiment bons, et ne laissent pas de marques [8].

Mais que diable est cette chose ? Aïe !

Un genre d'appareil électrique. Ils ont toutes sortes de gadgets high-tech pour persuader les gens de parler. Mais ils n'auront certainement pas besoin de ça. Tout ce que nous désirons, c'est une petite conversation tout ce qu'il y a de plus candide concernant un sujet d'intérêt pour toutes les personnes civilisées.

Que savez-vous des personnes civilisées, espèce de monstre ? Cette interview est officiellement terminée. Elle... Aïe ! Enlevez cette chose de ma tête. Je ne peux plus respirer !

Ne paniquez pas, ça risquerait d'être pire encore. Essayez de respirer plus lentement.

Pourquoi me faites-vous cela ? Vous savez que je ne peux rien vous dire. Ca me coûterait mon boulot.

Je comprends, vous avez vos principes, et je les respecte. Mais êtes-vous sûr qu'il n'y a rien que vous puissiez nous dire avant que les Pakistanais n'arrivent ?

Les Pakistanais ? Comment se sont-ils retrouvés impliqués là-dedans ?

C'est un groupe international de presse. Nous avons dû les y associer, ce qui est un problème parce qu'ils laissent parfois des marques. Mais ils nous accordent la marge opérationnelle dont nous avons besoin.

Je suis un citoyen américain. Mon Dieu, vous ne pouvez pas montrer cela à la télévision.

Nous pouvons tout arranger. Bien entendu, ça devient plus difficile après que les Pakistanais aient commencé.

Je vous en prie, laissez-moi partir ! Laissez-moi respirer ! Je vais vous dire ce que vous voulez savoir.

Nous pouvons parler ? Soulevez un peu le capot, les gars, que nous puissions parler. Je me sens comme Joan Rivers, ah ah. Je pense que nous sommes enfin prêts pour le direct. Bienvenue, monsieur, à «Meat the Press». Vous avez déclaré être prêt pour des questions difficiles, alors les voici : torturez-vous des prisonniers dans le but d'obtenir des informations ?

Exact, oui, mais uniquement lorsque c'est nécessaire. Uniquement dans l'intérêt de la sécurité nationale. Nous avons considéré que certaines méthodes de persuasion étaient nécessaires.

Comme celles décrites dans l'article du Washington Post ?

Oui. Oui, celles-là mêmes, ainsi que d'autres que nous ne voulons pas évoquer. Certains de nos alliés ne sont pas aussi délicats.

Délicat. J'aime ce mot. Je parie qu'il n'y a pas la place pour un délicat à Diego Garcia, n'est-ce pas ? Ou à Guantanamo ?

Non ! Certainement pas. Maintenant laissez-moi partir, bon Dieu.

Je dois d'abord vous poser cette question, dans l'intérêt de l'information et du journalisme. Partagez-vous ces informations avec les américains de votre plein gré ?

Oui, bien entendu, bon Dieu. Vous n'allez pas vous en sortir comme ça, vous savez.

Aucune forme de coercition n'a-t-elle été utilisée ?

Aucune forme de coercition ne l'a été.

Vous avez juste voulu en parler, de manière à ce que les américains puissent avoir un débat franc et ouvert au sujet de la torture, c'est bien cela ?

Exact. Oui, Tout à fait.

Ok, c'est dans la poche. Bonne émission ! Maintenant, occupons-nous du verre d'eau. Prenez-vous un glaçon ? Apportez-lui des glaçons les gars.

Pour l'amour de Dieu, laissez-moi partir !

Bien sûr que nous vous laisserons, suffisamment tôt. Nous allons juste devoir vous conduire pour quelques jours dans un endroit inconnu [9], au cas où nous aurions de nouvelles questions à vous poser. Vous savez comment nous, journalistes, sommes en ce qui concerne les nouvelles questions qui nous viennent à l'esprit. Préférez-vous une cage ou une boîte ?

Bande de bâtards ! Enlevez ces chaînes de mes jambes !

Les boîtes sont plus chaudes, et nous en avons de plusieurs dimensions, y compris une qui est à peine suffisamment grande pour s'y tenir debout. Etes-vous prêt pour de bonnes nouvelles ? Etant donné que vous avez été si coopératif, vous êtes le prochain en lice pour une grande boîte de 5 pieds sur 5. Encore un peu d'eau ?


D'après Terry Bisson, le 15 février 2003
Pour la traduction : Aurélien Knockaert

Retrouvez le document original à cette adresse : http://www.infinitematrix.net/columns/bisson/bisson-meat.html


  Le site officiel de Terry Bisson : http://www.terrybisson.com
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