Ecoutez Ballard

Ballard reste certainement l'un des plus grands auteurs de speculative fiction.
Nul n'a su aussi bien que lui comprendre et anticiper notre société.

Voici une itw récente, et franchement, je ne sais pas comment il fait pour voir les choses aussi justement, et avec un tel détachement :

"Nous vivons dans une société du divertissement, un immense parc à thème, un univers aseptisé où l'on nous sert le mirage de la liberté. Les gens voyagent sans voir le monde, consomment par paresse et évitent de réfléchir. Ils imaginent que tout tourne autour d'eux, qu'on leur doit la santé, la sécurité, la prospérité. Ils en oublient que la vie est étrange et dangereuse. Comment Voltaire a-t-il pu imaginer que l'homme serait gouverné par la raison? Quelle erreur!

Dans 1984, Orwell annonçait un totalitarisme brutal. En fait, on nous infantilise avec une dictature soft et un nouveau fascisme comme celui qui est en train de naître aux Etats-Unis. On nous sourit, on nous dit que tout va bien, on nous divertit avec des téléphones portables ou des voitures, on nous anesthésie. C'est le nouvel esclavagisme. Seuls une immense épidémie ou un phénomène extérieur imprévisible pourraient en venir à bout.

Le World Trade Center, ce sont 3 000 victimes en 2001. Un acte de guerre inutile de plus! Moi, je m'intéresse à ce qui touche au plus profond de la psychologie humaine, ce besoin concomitant de sécurité et de violence extrême. On vit par exemple dans un monde où l'automobile est reine, alors qu'elle fait un million de morts chaque année. ça me passionne d'essayer de comprendre pourquoi les hommes sont fascinés et pervertis par les machines. Quand un fou tire aveuglément dans un supermarché, il en dit infiniment plus sur le malaise de l'espèce humaine que l'attentat du 11 septembre.

Nous entrons dans un nouvel âge sombre. Les lumières sont toujours là, mais on ne distingue déjà plus rien. Dans la première moitié du XXe siècle, on a eu de grands peintres, de grands philosophes, des génies littéraires ou scientifiques pour éclairer la route. Où sont leurs successeurs? Franchement, je ne vois pas."

Le bonheur règne sur Terre.
Qui en doute est malade.
Qui est malade est soigné.
Qui est incurable est exécuté.

Un constat bien plus que pertinent.
Que dire de plus ? Rien, malheureusement...

PS : l'interview est-elle disponible en ligne ? Ou sur papier ?

C'est extrait d'un article de L'express.
Je n'en ai tiré que les déclarations de Ballard.

Merci Olivier. Très intéressante cette itw.

		Olivier : Nul n'a su aussi bien que lui comprendre et anticiper notre société.

Là, tu n’exagères pas un poil ? ;P

A lire sa superbe chronique sur Tous à Zanzibar, j’espère que Morca sera d’accord avec moi si je dis qu’entre autres, John Brunner a sérieusement interpellé les foules avec son oeuvre: allez ! Pour le fun, un extrait du Citadin bacille heureux

On produit, citadin bacille ?
Après tout, il n’est pas improbable
Que ton habileté soit supérieure
Mais l’enregistrement dans le laminoir chimique
Commande l’outil à la molécule près.

Un fils, citadin bacille ?
Va voir à l’Eugénique et donne-
Leur un échantillon de ton génotype.
Mais sois prêt au refus
Et ne t’attriste pas du sort de tes voisins.

Non, citadin bacille, non !
Voici ton monument et vois comme il s’érige !
Les voitures que tu fatiguas, les habits que tu usas,
Les boîtes que tu vidas, les meubles que tu brisas
Et toute la merde qui obstrue les égouts
Si monumentum requiris, circumspice…

		Ballard : Quand un fou tire aveuglément dans un supermarché, il en dit infiniment plus sur le malaise de l'espèce humaine que l'attentat du 11 septembre.

Asséner ce genre d’assertion – très intéressante au demeurant pour susciter un débat – me paraît un peu lapidaire. Je pense que chacun des deux évènements a son importance dans le diagnostic du malaise de l’espèce humaine et qu’il est hâtif de les hiérarchiser ainsi. Sentiment personnel. Je ne souhaite pas rentrer dans un débat qui serait probablement interminable. ;)

		Ballard : Nous entrons dans un nouvel âge sombre. Les lumières sont toujours là, mais on ne distingue déjà plus rien.

Cela me rappelle les débats qui ont eu lieu lors de la nuit de la SF à Lyon fin 2004.
Jean-Claude Dunyach et Ayerdhal s’accordaient à dire que tout allait trop vite pour que l’Homme ait le temps de s’adapter aux nouvelles problématiques qui se posaient à lui (via notamment les découvertes scientifiques).
Tout va trop vite pour que les nouveaux repères soient déjà positionnés. La Science avance sans que la réflexion éthique ait eu le temps de mûrir et des repères fondamentaux s’écroulent sans que d’autres les remplacent.
D’après JC Dunyach – j’avoue ne pas avoir les billes sous la main pour vérifier - tous pays confondus, il y a plus de scientifiques vivant en 2004 que pendant les 19 siècles qui ont précédé alors qu’en parallèle, très peu de gens sont payés à réfléchir aux nouveaux problèmes d’éthique soulevés. Comment d'ailleurs, sont choisis les participants à des comités d’éthique quand ces derniers existent ? Que penser des comités d’éthique mis en place dans les entreprises (dont l’objectif est quand même – rappelons-le – de vendre) ?
C’est donc vrai, on ne distingue pas grand-chose et la seule chose que l’on peut tenir comme acquise est bien qu’à chaque avancée technique/scientifique, les bons côtés comme les effets pervers seront utilisés.

Autre réflexion qui n’est pas une nouveauté. Le fric est roi. Au risque de détruire sadiquement les quelques illusions qui pourrait encore subsister, je vous livre cet extrait d’ Eternity Express (JM Truong) relatant une conversation entre le très cynique Xuan répondant à son ami Jonathan, médecin se rebellant à l’idée d’introduire dans une même équation, la Vie et des espèces sonnantes et trébuchantes :

"Tout calcul de coûts, en vérité est un calcul de vie. Et crois-moi, jamais la réalité et la nécessité de tels calculs ne t’apparaîtront de manière plus éclatante que le jour où notre génération pléthorique, imprévoyante et prodigue entrera en guerre pour sa survie contre ses propres enfants. Car ce jour-là, pour avoir contrarié, dans votre orgueil insensé, l’œuvre salubre des Grandes Elagueuses, vous autres toubibs en viendrez à devoir vous substituer à elles. Cette médecine high-tech dont tu sembles si fier révèlera alors sa véritable fonction – celle d’un instrument sophistiqué d’arbitrage macroéconomique permettant aux banques centrales de jouer sur les taux de natalité et de mortalité comme elles interviennent aujourd’hui sur les taux d’intérêt, pour contenir l’inflation et stimuler la croissance"

De la clairvoyance ? Je ne sais pas toujours est-il que ces propos nous montre que Ballard n’est visiblement pas le seul à s’inquiéter. La SF a souvent dénoncé et dénonce encore ce nouvel âge sombre que beaucoup nous prédisent. D’ailleurs Ayerdhal avait déclaré à la nuit SF de Lyon : "La SF, je la conçois comme une métaphore pour parler de notre présent" et il avait ajouté en parlant des auteurs de SF: "Nous sommes les derniers philosophes".

Euh ! J’ai fait un peu long… :(

Oui, mais j'ai tout lu ;)
ah, pinaise ! Je suis d'accord avec Ballard, on dirait presque qu'il m'a ôté certains mots de la bouche :D... "Chacun ignore de quoi il retourne, mais tout le monde sait de quoi il s'agit" disait Brunner... On pourrait presque croire que la proposition peut s'inverser sur certains sujets...
alors, sur ce coup, je dis que je suis d'accord avec Ballard, avec Brunner, et vous tous...
Bon sang, qu'est-ce qui m'arrive?
(je ne pars pas dans le détail de la discussion, zomver, parce que sinon il me faudrait du temps, et j'arriverais bien à trouver motif de discorde, en cherchant un peu ;)

En parlant de Ballard, j'en profite pour signaler qu'il sera, à l'occasion de la parution de Millenium People, l'invité de l'émission Surpris par la nuit, diffusée demain mercredi de 22h30 à minuit sur France Culture... (source : SF-Info)

Avis aux amateurs !

Arrgh! J'ai complètement zappé cette info ! :'-(