Dans l’excellent
Le successeur de pierre de
Jean-Michel Truong, la vision que Rembrandt (pseudo d’un des protagonistes de l’histoire) a de l’œuvre de
Millet, le peintre français du XIXème siècle, me semble correspondre à ce que tu évoques,
Jim. Cette vision n'est sans doute pas centrale dans l’histoire mais sa connotation métaphorique est suffisamment forte pour m’avoir durablement marquée.
Dans ce roman, la population vit enfermée dans des cocons, sorte de cellules "tout confort" sises au sein de gigantesques bâtiments (pour plus de détails se reporter à
la belle chronique de LeGaidol).
Zéro contact est le mot d’ordre. Si contact il y a, il est virtuel car il s’effectue exclusivement via le Web.
Des communautés virtuelles se forment donc. Nous en suivons une, celle de Calvin,Chen, Ada, Thomas, Nitchy et Rembrandt. Ceux-là ont pris l’habitude de se réunir à une heure convenue dans un lieu virtuel organisé comme une vaste demeure bourgeoise. On y trouve des espaces communs comme le vestibule et des chambres privées qui ne sont rien d’autre que l’espace d’accueil des sites web personnels de chacun des membres de la communauté. Les murs-écrans des cocons prennent l’apparence de la pièce où l’on rentre virtuellement.
Dans son appartement virtuel, Rembrandt s’est constitué un musée virtuel où
Jean-François Millet est à l’honneur. Selon Rembrandt, l’œuvre de
Millet exprime sa nostalgie pour l’ordre ancien et son angoisse face à celui qui naissait sous ses yeux, source de bouleversements sociaux de grande ampleur aboutissant à la dislocation de la communauté rurale. Toujours selon Rembrandt,
Millet, comme pour exprimer un refus de cette dislocation, a un leitmotiv: la botte, la meule, la gerbe, le fagot :
ce qui réunit et non ce qui sépare. Difficile de ne pas penser alors que l’admiration de Rembrandt pour
Millet est sans doute un reflet de sa propre angoisse face à un nouvel ordre mondial, celui que gère désormais l’informatique et qui pourrait bien disloquer la communauté humaine.
Les glaneuses
Les botteleurs
Rembrandt évoque les moments où, avant la mise sous cocon obligatoire, il aimait aller se recueillir sur les hauteurs vosgiennes. Là, il pouvait apercevoir la cathédrale de Strasbourg qui émergeait des brumes. Là, il goûtait la paix. Là, il pensait à tous les mots sacrés d’adoration, de gratitude, d’espoir, de consolation que la foi avait inspirés à tant de gens.
"[...] obéissant à leur mystérieuse incantation, un à un, surgissaient de l’ombre tous mes êtres chers, oubliés, éloignés ou disparus à jamais. Par la vertu de ces mots convergeaient en ce lieu désert les fils épars de nos existences et se renouait, le temps d’une prière, la trame fragile qui unit les vivants et les morts, ce réseau mystique que nul n’a mieux vu que Millet… Souviens-toi [NDLR : Rembrandt s’adresse à Calvin], ces gueux courbés sur le modeste fruit de leur labeur… Dans le lointain, un clocher sonne… Entre ce clocher et eux, rien qu’une immense étendue vide… Alors les gueux commencent : je vous salue, Marie, pleine de grâces…Et soudain la plaine se peuple… Ils ne sont plus seuls…"
L’Angélus
Comment ne pas penser, face à ce
réseau mystique dont parle Rembrandt, à un autre réseau qui lie aussi virtuellement : le Web. Un réseau qui réunit, certes sauf que …
... le Web que nous présente
JM Truong, disloque plus qu’il ne lie comme le conclut fort justement
LeGaidol dans sa chronique.
PS Bonne année à tous !