Et c’est peu dire qu’elle a besoin d’un habile protecteur, tant les périls qui la menacent sont multiples.
A l’extérieur, les nations rivales fomentent leur retour au sommet et de charismatiques meneurs religieux fragilisent la position papale. A l’intérieur, seigneurs de provinces jalouses de la prépondérance florentine, familles aristocratiques avides de revanche, prélats corrompus et maints autres intrigants placent leurs ambitions bien au-dessus de l’intérêt commun.
Mais il est aussi, loin des querelles qui agitent la vieille Europe, un petit bout d’Italie : dans le sillage du Gênois Christophe Colomb, la Fédération s’est établie en terre d’Amérique.
Et, cependant que les habitants de Nuova Genova s’efforce de nouer de profitables relations avec la population locale, voilà que colons et indigènes sont contraints de s’unir en une communauté d’armes face à un terrible danger : le sorcier nécromant Annatrecacciatore et ses redoutables géants de grès et de glace.
Contre de si formidables adversaires, leur plus grand (leur unique ?) espoir réside en Ariosto, noble héros aux retentissants exploits.
Entre ces deux intrigues que séparent les étendues océanes, le roman procède d’un incessant va-et-vient, avec comme lien le poète Lodovico, ami et confident de Damiano, et… géniteur d’Ariosto par le truchement de sa fertile imagination.
En effet, le seigneur toscan lancé à la rescousse des Cerrochi fut créé par l’homme de lettres pour tenir le premier rôle d’Ariosto furioso, suite de son célèbre Orlando furioso…
C’est à un récit d’une grande richesse symbolique que nous convie Chelsea Quinn
Yarbro
.Les actions n’y comptent pas tant par elles-mêmes que par les motivations qui les inspirent et les futurs qu’elles augurent.
Certes, il y a des hauts faits d’armes, de l’aventure épique, mais finalement assez peu reporté à la longueur du roman et le lecteur friand de péripéties rocambolesques et fracassantes pourra passer son chemin. Le tempo est relativement lent ; l’alternance des deux intrigues le relance régulièrement sans toutefois éviter, comme dans la deuxième partie, de petites chutes de rythme.
Il faut dire que la notion d’attente joue un rôle très important : jamais vaine, jamais vide, chargée tantôt de tension, tantôt de mélancholie.
Dans le dernier chapitre, toutefois, tout s’accélère brusquement, les fils narratifs s’enchevètrent dans un maëlstrom d’émotion, entre poésie et douleur. Non une fin mais une véritable chute, ce qui peut heurter, mais quel tour de force !
Parmi les nombreux thèmes du roman, celui de l’uchronie est très vite amené mais restera très léger. Plus importants sont ceux de l’utopie (entente transnationale, unité politique, harmonie avec la nature…) et, surtout, le dilemme de l’Artiste dans sa relation au monde, tout à la fois en dedans et en dehors.
A ce titre, Lodovico apparaît comme un individu distrait, facilement absorbé par ses pensées vagabondes, et peu au fait des finesses diplomatiques dont les protocoles polissés cachent des lames acérées. Damiano de Medici tient son innocence d’âme pour une vertue inestimable, et qui lui est d’un grand réconfort, mais Lodovico, voyant son ami ployer sous sa charge, est tenté de l’aider avec d’autres choses qu’une oreille attentive, des poèmes et du vin.
Plus classique est le périple d’Ariosto qui porte fièrement l’étendard du Bien dans sa lutte contre le Mal. Caricatural ? Pas vraiment. Ludique, par le jeu sur la figure du chevalier blanc et le sens de l’honneur quelque peu excessif du héros. Humain aussi, parce qu’on est toujours conscient de la présence du poête derrière sa créature, en qui il projette ses rêves et ses espérances.
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Sous la plume aérienne de Chelsea Quinn
Yarbro
, Ariosto furioso combine agréablement divertissement d’heroic fantasy et réflexions profondes.C’est une œuvre à plusieurs niveaux de lectures ; elle provoque de nombreuses interrogations qui surviennent parfois à retardement, mais son charme, lui, est immédiat.