Aldani
.Aux Editions du Passager clandestin, qui m'ont fait découvrir
Aldani
.Hormis Valerio Evangelisti, le lecteur curieux de la sf cisalpine sera bien en peine. Alors que les écrivains italiens ne manquent pas de succès chez nous, en mainstream comme en polar, la sf est elle aux abonnés absents.
Malgré quelques tentatives salutaires du Passager clandestin et Passager clandestinde Jean-Pierre Fontana
Aldani
semble donc condamné à l’oubli et à la confidentialité, ne survivant que chez les collectionneurs, ou les écumeurs du web, à l’instar d’un Harlan Ellison.J’avais écrit ici tout le bien que je pensais d’un autre livre de l’auteur, paru en 1987. Et comme je suis têtu, je ferai donc tout pour éviter à l’auteur de tomber dans un oubli injuste.
Voici donc la chronique d’un recueil plus ancien, paru en 1964, aux débuts de l’auteur.
Il convient donc de l’inscrire pleinement dans les débuts de l’auteur, et dans une période clé de la sf.
Silverberg n’a pas encore entamé sa période sombre, Dick commence à percer, Delany débute, Disch n’a pas encore publié de roman, Spinrad est un nouvelliste prometteur qui n’a toujours pas publié de roman. Zelazny publiera son premier roman l’année prochaine, Hugo ex-aeaquo avec Herbert.
En France, Pelot ou Andrevon sont encore inconnus ou confidentiels, Jeury n’a pas encore publié de roman marquant.
La sf est donc entre un Age d’or qui a déjà donné pas mal d’oeuvres marquantes, et une New wave encore en gésine. La contre-culture et la contestation libertaire sont encore parcellaires, l’escalade au Viêt-Nam commence à peine.
J’avais loué chez
Aldani
la diversité des genres et des inspirations, fantastique, humour, etc.Force est de constater que cette diversité est une constante chez l’auteur, puisqu’elle est déjà au sommaire de ce recueil.
Les textes sont ici de longueur variables, sans aller pour autant jusqu’à la short-short ou la novella. La nouvelle reste pour moi la forme la plus exigeante, la plus impitoyable de la littérature, avec la poésie.
Elle ne pardonne pas la longueur, le mot en trop ou la concision trop obscure. Ballard ne s’y trompait en disant qu’il n’y a pas de roman parfait, mais parfois des nouvelles parfaites.
Sans aller jusqu’à crier ici à la perfection, j’écris cette chronique pour dire le vif plaisir que m’a procuré la lecture de ce recueil.
Au sommaire, seul Le Kraken, histoire héroïque de conquête planétaire, visiblement destinée à un public juvénile féru de pulp m’a paru un cran en dessous. Sans doute parce que je ne suis absolument pas le public cible.
Pour le reste, la qualité est la règle.
Commençons par le commencement, avec la première nouvelle, évoquée dans le résumé.
Elle aurait eu, à n’en point douter, sa place dans un Territoire de l’inquiétude, rien de moins. Un jeune couple moderne, sans enfant mais avec un chien, vit le bonheur de l’Italie prospère des années 60. Au menu ce soir, du poulet, des patates et un bon cognac.
Est-ce le cognac ? Toujours est-il que les hallucinations commencent. Monsieur se retrouve en effet dans la peau d’un chien, et se rend à un meeting, où un tribun enflamme la foule. La domination humaine, la domination de cette créature nuisible pour la planète (quelle lucidité en pleine ascension de la société de consommation, que l’on retrouve dans son roman Quand les racines). L’heure est donc venue de la grande migration des âmes : aux humains les corps des chiens, et inversement.
Avouez qu’après cela, vous regardez votre chien autrement le matin, non ?
C’est ce que va faire notre narrateur. Hallucination, folie ou évènement réel ? A-t-on le temps d’attendre, alors que le pire est peut-être en marche ?
La fin de la nouvelle, glaçante, en fait un petit bijou de noirceur, à rebours de Simak ou d’Anderson (Barrière mentale), et évoquer plutôt Finney (L’invasion des profanateurs) ou Wyndham (Les coucous de Midwitch), tout en entretenant constamment le doute. C’est donc redoutable et réussi.
Du Lisa Tuttle avant l’heure, c’est vous dire !
Une bonne partie des textes s’inscrivent dans cette logique de chute, souvent redoutable.
Technocratie intégrale, en, est un parfait exemple. Le monde est enfin rationnel, géré par un grand ordinateur et une tripotée de technocrates, tous recrutés par concours. Le but est de permettre à chacun d’avoir la meilleure place, pour le bien-être de la société. Le narrateur a une chance incroyable : il a été retenu pour passer un concours, qui devrait lui assurer une excellente situation. Le concours offre peu de places, il faut donc s’en tirer au mieux, car les candidats sont très nombreux.
Les épreuves de maths s’enchainent -l’auteur était prof de maths- et notre héros, d’abord confiant au départ, perd peu à peu confiance, alors que la difficulté des exercices s’accroit.
Je me garde bien de vous révéler la fin, qui est un véritable délice, digne du meilleur Fredric Brown. Car oui, l’humour est au rendez-vous.
Un humour que l’on retrouve également dans Les ordres ne se discutent pas, et son ambiance Quatrième dimension. La secrétaire d’une revue de sf vient voir son rédacteur en chef, car elle pense que deux de ses collègues sont des martiens, rien moins. Les indices ne manquent pas, du moins aux yeux de la secrétaire. Elle peine toutefois à convaincre le rédacteur en chef. Alors qu’en est-il ? La question sera tranchée, mais je me garde bien de vous dire dans quel sens. Car ensuite vient une chute imparable et géniale, tout à fait dans l’esprit de Serling.
J’ai déjà évoqué quelques influences probables de l’auteur, qui n’hésite pas à pousser cela jusqu’au pastiche. Une rousse authentique commence comme un roman de Chandler ou Hammett : un privé doit enquêter sur la disparition d’une femme plantureuse. Rien ne laisse présager un basculement dans l’imaginaire, alors que l’intrigue déroule son fil. Ce n’est qu’à la fin du texte que nous basculons dans l’imaginaire, mais ne comptez pas sur moi pour vous dire si c’est dans la sf, le fantastique ou la fantasy. Puis vient la chute, belle et poignante, qui conclut magnifiquement cet hommage au roman noir.
Les maths sont au coeur de la nouvelle L’ultime vérité, qui pourrait évoquer Division par zéro de Ted Chiang. Nul en maths, je serai bien en peine de vous dire si c’est de la hard-sf. Je laisse un éventuel matheux de csf qui ne partage pas mon aversion pour les maths trancher la question. Mais le texte reste finalement accessible, en se centrant sur la relation entre un prof et un élève, qui semble être un génie des maths. Le texte, nullement abscons, se termine sur une belle chute.
L’enseignement est également au coeur de La lune aux vingt bras, qui reprend la structure du récit enchâssé, bien connu des lecteurs de Lovecraft. Sa fin touchante, lui évite le loupé de Kraken, auquel je suis resté insensible, n’étant visiblement pas la cible du texte.
Le texte se termine en toute beauté sur Bonne nuit Sophia, qui a la réputation, fort méritée, d’être un classique. Imaginez une humanité apathique, vivant dans l’ataraxie épicurienne, sans besoin ni véritable désir. Puis vient un nouveau cinéma, qui vous projette directement dans le film. Imaginez que c’est vous que la belle actrice embrasse, qui vivez les aventures de James Bond, ou autre selon votre choix et vos goûts. Jeu de miroirs fascinant entre le réel et la fiction, anticipant le Delirium circus de Pelot, le texte se termine sur une chute magnifique. Cette belle variation sur la caverne platonicienne est aussi une critique impitoyable de la société de consommation, dans la lignée du meilleur Dick.
Des lignes qui précèdent, on pourra déduire que, si ce recueil d’un auteur débutant n’est pas parfait, mais qu’outre son salutaire mélange des genres, il fait preuve d’une belle inventivité, et arrive parfaitement à trouver sa place dans ce moment crucial de la sf.
S’il n’est pas sans défaut, ce recueil vaut néanmoins largement la lecture, par son mélange entre influence américaine et la patte naissante d’un auteur appelé à compter, même s’il n’a malheureusement jamais eu le succès mérité chez nous.