Aldani
a eu la chance de revenir sur le devant de la scène avec la très, très inégale collection Dyschroniques qui offrait là l’un de ses meilleurs titres, avec Andrevon (lire carrément tout le recueil : c’est un de ses meilleurs livres), Curval et Aldiss.Aldani
signait avec ses 37° centigrades un récit particulièrement réussi d’anticipation sociale, qui n’en négligeait pas la dimension humaine ni les personnages pour autant.Porté par cette bonne impression, je suis parti en excursion spéléologique dans ma PAL, pour en sortir les deux opus du bonhomme qui y dormaient depuis belle lurette : La maison-femme et Quand les racines.Amateur de nouvelles, je jette donc mon dévolu sur le recueil, dont voici la chronique.
J’ignore s’il existe en Italie un équivalent au Livre d’or de la sf, mais ce recueil m’a tout l’air d’être un pot-pourri de son auteur. Les textes s’étalent sur près d’un quart de siècle et, chose qu’apprécient plus que tout les amateurs de forme courte, offre une grande diversité.
Une extrême diversité, pourrions-nous dire, puisque le texte inaugural est mainstream. Nous trouverons aussi dans ce recueil de la fantasy, un hommage science-fictif au grand Dashiell Hammett, du fantastique et bien sûr, de la sf.
La première impression est donc celle d’un auteur touche-à-tout, capable également de jouer sur la longueur, avec des textes allant de moins de dix pages à quarante.
Le recueil commence donc sur du mainstream.
Plus encore que la France, l’Italie avait, au sortir de la guerre, une économie très arriérée. Le rattrapage a permis à la France de connaitre les 30 glorieuses. Une visite à mon père, ouvre donc le recueil avec un conflit de générations sur fond d’ascension sociale. Le fils d’un paysan réussit à entrer en usine, où il gravit quelques échelons. La rupture avec la vie traditionnelle qu’a connu son père est donc limitée (la femme est toujours au foyer) mais bien réelle, surtout entre le grand-père et son petit-fils. Point d’enfant démoniaque, juste un enfant qui ne connait pas la soupe au lard et adore les jeux vidéos. Nous sommes ici dans le réalisme le plus pur, celui où un monde disparait tandis qu’un autre est en gésine. Le conflit se situe entre l’ancien monde immuable et un nouveau, constamment bouleversé par la technologie, qui n’est pas sans rappeler nos digital natives.
Le recueil s’ouvre donc sur un très beau texte, assez touchant, sur la relation père-fils, et le basculement d’une société encore largement rurale dans le salariat et la société de consommation.
Nous changeons du tout au tout avec Seconde naissance, puisque nous basculons abruptement dans la fantasy médiévale. Ce n’est pas l’originalité de l’histoire –une quête sur fond de magie- qui fait la grande qualité de ce texte. Si ce texte est brillant, il le doit avant tout à la très grande qualité de son écriture et son excellente ambiance.
Aldani
signe ici une réussite magistrale digne du meilleur Moorcock, dont le génie littéraire est la création d’ambiance.Ce n’est qu’avec « S » comme serpent que nous entrons de plain-pied dans la sf. Prenez un grand classique : un extraterrestre prend à distance le contrôle de votre corps. Vous voici donc à deux dans le même corps. Ajoutez-y la forme rebattue du manuscrit retrouvé à la Lovecraft. Clichés, me direz-vous. Eh bien c’est justement dans l’utilisation desdits clichés que l’on voit le talent d’un auteur. Avouez qu’un extraterrestre en forme de serpent, cela sort de l’ordinaire. Ajoutez-y son horreur de la lettre « s », remplacée par le « & », et vous avez là un petit clin d’œil à Brown ou Sheckley, jusque dans l’humour sous-jacent du texte. S’il ne révolutionne pas la sf, il n’en demeure pas moins d’excellente facture, et il confirme le talent d’
Aldani
pour les ambiances, tout en soulignant son goût pour un humour discret.Ambiance toujours avec Quo vadis, Francisco ? Nous voici sur une planète maudite, où le temps s’écoule à grande vitesse. Elle est peuplée d’étranges habitants, digne de l’inventivité des meilleures séries Z. L’humain de la nouvelle est un prêtre qui, comme Carmody, va tenter de convertir les habitants à sa foi. Plus que la religion, le thème central rappelle un peu la première nouvelle : le choc des cultures. En effet, le prêtre va devoir prendre une compagne pour pouvoir faire de ces étranges extraterrestres ses ouailles. Le texte est court, et là encore, en peu de mots, l’auteur crée une ambiance, donne une véritable profondeur aux personnages, et s’impose comme un orfèvre de la prose.
Un harem dans une valise n’est pas sans rappeler Dick. Non pas pour son obsession de la réalité, mais pour son regard désabusé sur la futilité de la société de consommation. Sur le thème de la poupée sexuelle, j’ai cependant nettement préféré l’humour grinçant de Dorémieux dans Partenaires pervers S.A.
Après l’ambiance, l’humour, et un énorme coup de cœur pour Une virée à la plage. L’histoire est narrée par un enfant, avec toute la naïveté idoine, qui permet de jouer à plein sur l’ironie et le second degré, pour une farce à l’italienne. Dans une Italie surpeuplée, les routes sont saturées par les embouteillages, il est aussi difficile de se garer que de trouver une place sur la plage. Et ce n’est là que le début ! Un début qui rappelle par moments Le grand embouteillage et qui se termine par une pirouette magistrale qui rappelle le SPOILER de Farmer mais avec ici une ironie mordante. C’est certainement le meilleur texte de l’auteur sur la société de consommation, qu’il articule avec le problème écologique actuel de la surpopulation.
Profitons-en également pour souligner que Farmer est trop peu connu comme nouvelliste, alors que c’est là qu’il donne la pleine mesure de son génie.
La maison-femme donne son titre au recueil, et c’est aussi son plus long texte.
Dans La moisson rouge, Dashiell Hammett faisait débarquer son détective dans une ville en proie à un violent conflit social minier. Ici, c’est sur une planète que débarque le détective, venu y mener son enquête sur un meurtre. Le texte est donc un whodunit sur fond de conflit social et de magouilles typiquement hard-boiled bien exécuté, agréable à lire, mais sans plus.
De la sf, passons au fantastique.
Italie + fantastique évoquent pour moi, dans un réflexe pavlovien, Dino Buzzati.
C’est bel et bien le cas du premier texte fantastique de ce recueil, Babel. Texte court et texte fascinant, dont l’inquiétante étrangeté rappelle justement Dino Buzzati. Un homme se réveille dans une ville inconnue, où l’on parle une langue qu’il ne comprend pas. Sans repère, il va falloir comprendre ce qui lui est arrivé, et surtout comment s’en sortir. Admirablement ciselé, notamment pour la montée de l’angoisse face à l’inconnu, ce texte confirme le talent de l’auteur pour les ambiances.
Mochuelo est un fantastique d’ambiance qui s’annonçait prometteur, mais dont la fin m’a déçu. D’une part, elle dissipe totalement l’ambiguïté inhérente au fantastique, et l’on n’y trouve pas sa noirceur sous-jacente. Le fantastique est rarement optimiste, car cela ne lui va pas. Si la fin est loupée, le texte ne l’est pas pour autant : si l’arrivée est décevante, le chemin n’en reste pas moins fort plaisant.
Du fantastique, de la sf ou je ne sais quoi pour clore le recueil, avec Gestes lointains, dont l’hermétisme m’a laissé froid. Le seul vraiment dispensable de ce recueil, qui se clôt donc sur son unique fausse note. Dommage.
Ce recueil montre les différentes facettes de l’auteur. De l’humour à l’angoisse, à travers toute la palette de l’imaginaire, il rassasie sans peine son lecteur. La première impression qu’il laisse, c’est que Lino