- du roman Câblé
- de la nouvelle perspective érogène
- de la nouvelle solip system
- du roman le souffle du cyclone
Câblé :
« A minuit, il sait que son malaise va l’empêcher de dormir. Le panzerboy quitte Santa Fe par le nord, traversant les Sangre de Cristos par la route de montagne de Truchas, en direction du Colorado, pressé de se rapprocher du ciel nocturne. Il conduit sans l’aide des mains ou des pieds, l’esprit voguant sur la froide interface neurale située quelque part entre les images qui défilent rapidement devant son pare-brise et la conscience électrique que forment le corps d’alliage léger et le cœur de cristaux liquides de la Maserati… »
Cowboy est câblé à sa machine, lui et son panzer sont intimement liés. Quand il est dans son véhicule, ils ne font plus qu’un, le panzer réagit au moindre ordre que lui insuffle le Cowboy. Sa mission : passer des marchandises, illégales dans la plupart des cas, à travers les frontières des états des anciens USA, dans ce monde qui n’est plus maître de lui-même depuis que les orbitaux en ont prix le contrôle. Mais ils laissent en quelque sorte un marché parallèle pour s’enrichir par la même occasion.
Au même moment, Sarah a besoin d’argent pour sortir son frère de la prostitution et partir chez les orbitaux. Elle est engagée pour une mission des plus obscures. Pour cela, on lui implante une arme redoutable : un cobra au fond de la gorge qui se déploiera au moment propice.
Le destin va finir par réunir ces deux êtres que tout oppose…
Technologie et SF.
Ce roman est écrit après Neuromancien et Schismatrice, qui ont mis les fondements du mouvement cyberpunk. Ces deux premiers romans ont décrit l’univers social et politique du cyberpunk dans lequel
Williams
n’aura plus qu’à y intégrer un roman d’action. L’idée d’orbitaux contrôlant est bien entendu original, mais ce qui caractérise ce roman est plutôt l’orientation action. Le quatrième de couverture parle de western, et c’est bel et bien un western que nous décritWilliams
, dans un contexte technologique et sur Terre. Cowboy est comme un chevalier avec son panzer comme monture, un peu à la manière d’un Mad Max. L’intérêt de Câblé réside d’abord dans cette interface avec sa machine. Une fois connecté, son corps n’est plus qu’un tas de chair. La puissance de ce roman est la capacité deWilliams
à nous décrire, à nous faire sentir les défauts du terrain sur lequel le panzer se déplace, à nous faire ressentir les impressions de vitesse à travers les étendues immenses, ces poussées d’adrénaline lors de poursuites.Il y a un rapport entre l’homme et la machine très intéressant que Bruce Sterling n’avait pas assez approfondi : la numérisation d’un esprit dans le réseau, ou bien l’intégration de stockage numérique au cerveau. Aliénation de l’homme à la machine ou de la machine à l’homme ? Dans quel but ?
Politique.
Mais Câblé n’est pas que cela. C’est aussi la description des rouages politiques par les dominants, c’est à dire les orbitaux. Luttes d’influence, prises de pouvoir, batailles rangées pour être au devant de la scène, esclavagisme possible, contrôle mental. Tout y passe dans cette pelote de laine qu’est ce pouvoir politique orbital. Autant de difficultés pour le Cowboy et le reste des panzerboys de voir à qui ils font de la résistance, et qui ils combattent.
J’ai passé un excellent moment de littérature avec Câblé.
Perspective érogène :
« De la fumée s’élève du sein gauche de Babette lorsque le laser cautérisant du Dr Talbot atteint sa cible. Sous l’assaut précis du faisceau de photons cohérents, le collagène et l’élastine s’évaporent en exposant des couches jaunes de graisse… »
Le Dr Talbot est un chirurgien esthétique de haute volée et sa dernière œuvre est le nouveau corps de Babette, la gigastar a besoin de ce corps pour continuer à avoir cette notoriété pendant des dizaines d’années supplémentaires. Ce corps est parfait et le plus secret du monde. Tout roule jusqu’à ce qu’on commence à faire pression sur le médecin…
Une nouvelle sur un thème très actuel : la chirurgie esthétique, auquel on adjoint le thème d’immortalité.
La paranoïa du médecin se ressent de manière palpable. Décidément,
Williams
écrit bien. Le dénouement fait froid dans le dos.Solip system :
« Une voix hurle quelque part. Reno se déplace à la vitesse de la lumière. L’univers crie autour de lui. La clarté l’éblouit. Les odeurs piquent ses narines. Au-dessus de lui nagent les étoiles, leur doux éclat brouillé par les larmes… »
Grâce à l’esprit noir, Reno est désormais un orbital. Comment va-t-il gérer le nouveau rôle qu’il doit jouer ? Va-t-il faire en sorte d’aider la Terre ou bien succomber au pouvoir des orbitaux ?
Je ne suis pas fan des nouvelles, en général, mais celle-ci m’a littéralement retourné. En 50 pages,
Williams
met en place une atmosphère glauque, nous décrit des personnages traumatisés et traumatisants, je parle bien sûr de Mercedes. Un dénouement qui abasourdit. Personnellement j’ai été scotché.Le souffle du cyclone :
« Steward était suspendu sous un ciel d’ardoise mouillée. En dessous de lui, le sol était sombre, indistinct. Sensation de mouvement, de fuite glissante. Par moments, il sentait son estomac lui remonter dans la gorge, lorsqu’il plongeait pour frôler cette opacité ténébreuse. Il sentait alors ses nerfs danser, sa résolution se fortifier. Le ciel bascula, tournoya… »
Pas facile de vivre lorsque l’on est un clone, lorsque l’on est une copie de l’original, surtout quand il vous manque une grosse parcelle de mémoire par rapport à l’original. On est perdu, on a les souvenirs d’une femme, d’un enfant, mais ils ne sont pas les siens. Pure chimère. On se souvient d’une vie passée, de carrière passée, de convictions passées. Et impossible de recoller les morceaux car l’original a disparu mystérieusement. Commence le temps de la quête du temps perdu… Putain, 15 ans !
Le polar.
Le souffle du cyclone est avant tout un polar, une quête de la vérité et on s’émerveillera de la qualité de
Williams
à ne laisser transpirer les indices au fur et à mesure du roman.Williams
écrit bien et on notera les flahbacks concernant l’histoire de son original. Steward spectateur à qui l’on distille les faits va peu à peu prendre part à l’histoire et en écrire une suite, il va participer de loin puis de près à l’action d’un tout immense, une gigantesque machine est en route et il en donne la direction.Claves.
J’ai trouvé que ce roman mettait moins l’accent sur des spécificités techniques cyberpunk que Câblé, tant j’ai été captivé par l’histoire en elle-même. Mais on y rencontre de beaux moments du genre notamment la gestion des clones. Très space opera en bien des points.
Néanmoins on remarquera que ce roman rappelle un peu Schismatrice, avec les claves et les systèmes indépendants.
En bref, ce roman est impressionnant de maîtrise, d’une histoire aux multiples rebondissements. J’ai adoré.
En conclusion, il serait dommage de passer à côté de ce recueil : deux romans extraordinaires et deux nouvelles de haute volée.