Eh bien il en est de même avec L’employé de Jacques
Sternberg
, où l’on trouve aussi une cantatrice chauve d’ailleurs, qui apparait aussi furtivement que dans la pièce d’Eugène Ionesco.Disons que nous sommes chez des espèces de pieuvres lovecraftiennes, sur une Terre fantasque, puisqu’en s’enfonçant dans les profondeurs des Philippines, on se retrouve du coté d’Auxerre : bon voyage !
Le voyage justement. Car on y voyage beaucoup, et même aux quatre coins de l’Univers, dans des planètes particulièrement délirantes, à vous faire passer Sheckley, Jouanne ou Bob Shaw pour de tristes sires.
Le délire est même le maître-mot de L’employé. On y perd en effet tous nos repères. Les personnages changent sans cesse, d’apparence comme de lieux, et il leur pousse même des visages au fond d’une dent, et des mains au bout des doigts. A plumes ou à écailles, ils finissent même par tout perdre. Tout perdre, et même leurs emplois d'employé. Emplois de gratte-papiers sans gloire, d’emballeurs et metteurs sous plis, comme pour mieux souligner l’absurdité de notre monde kafkaïen et de son fonctionnement. L’absurdité justement. Qu’est-ce qui est absurde finalement : notre monde ou le roman de
Sternberg
? Car à part l’amour, qu’est-ce qui a un sens ? Surtout si l’amour est aussi passionné qu’impossible, c'est à dire absurde...Autant le dire tout net, il est impossible de raconter, de résumer L’employé.
L’employé est une véritable expérience, un trip hallucinant, dans lequel on ne peut que foncer tête baissée.
Bien sûr, les tenants d’une littérature orthodoxe avec un début, un milieu et une fin, et surtout une histoire cohérente entre les deux y seront pour leurs frais. Bien qu’il y ait une fin, époustouflante d’ailleurs, dans L’employé.
Par contre, si vous cherchez quelque chose de différent, d’audacieux, mais surtout de réussi, de fascinant même, L’employé est fait pour vous. En particulier si vous aimez le Volodine de Rituel du mépris et d'Alto solo.
L'employé est aussi une formidable leçon de littérature, de déconstruction du roman, aux antipodes du barbant et inepte Nouveau roman.
Un Grand prix de l'humour noir plus que fortement mérité, donc.