Tevis
, paru en 1963. C'est également ma première lecture de cet écrivain qui semble assez méconnu, comme tant d'autres, et qui mériteraient une plus large place auprès du public...(Comme les auteurs de SF en général?)Bref, passons à l'œuvre elle même. L'auteur nous la présente sous la forme d'un triptyque tragique, où le nom des parties nous imprègne déjà du ton à venir.
Arborant ainsi le contour du mythe d'Icare,
Tevis
nous conte le destin de Newton, être étrange d'Anthéa, originaire d'une lointaine planète, venu s'échouer sur Terre afin de poursuivre un double but. Celui de sauver les rescapés de son monde déchu, en les assimilant à la culture humaine, où ils pourront apporter leur sagesse séculaire et leur expérience magistrale afin d'éviter un conflit destructeur semblant inévitable à toute espèce pensante.Œuvre littéraire ternaire, chaque partie semble posséder un sens tacite qui complète l'approche abrupte de son titre. Si la première, La chute d'Icare, représente bien évidemment le parachutage de Newton sur Terre, c'est également le révélateur de la décadence à venir, retranscrite par le professeur Bryce nourrissant des doutes croissants au sujet de son employeur..
S'enchaîne alors Rumplestiltskin (à vos souhaits), partie majeur et symbolique de l'annonciation dans le roman. Celle qui fait suite logique à la chute : le débattement désespéré pour ne pas s'enfoncer, pour tenter de se maintenir à la surface le plus longtemps possible, afin finalement, d'éviter la noyade. Mais cet extra-terrestre incongru, loin des siens, sera t' il seulement assez fort pour défier la fatalité inscrite dans le déroulement de l'œuvre même? L'issue du mythe, fataliste et désespérée, peut elle être détournée?
Bon. Outre cette trame fine et mordante dessinée, ou redessinée par Walter
Tevis
, L'homme tombé du ciel est avant tout caractérisé par une atmosphère particulière liée à ses personnages et à ses réflexions sur l'humanité plutôt qu'à une aventure à suspens et à rebondissement, même si ceux ci ne sont pas absent de l'histoire.Quand on referme le livre, après une fin belle à pleurer, c'est indéniablement une vague de mélancolie qui nous submerge après avoir contemplé ses déferlantes incessantes tout au long du roman. Newton et Bryce sont des êtres de la même trempe, si éloignés soient ils de par leur nature respective; les deux ont été amené à porter un regard désabusé sur leurs congénères, et le dialogue explicite et implicite qui résulte de leurs rencontres est délicieux. L'extra-terrestre s'égare, sa solitude écrasante et sa marginalité viennent lui faire douter de l'utilité du plan de sauvegarde de cette sous espèce, constituée de lointains ancêtres arriérés, qui s'est dénommée pompeusement « Homme ».
« Il se sentait dégouté, fatigué de cet endroit sordide et autre, de cette culture bruyante, inarticulée, sensuelle, sans racines, de cet agglomération de primates habiles, et égocentriques – grossiers au point de ne pas se rendre compte que leur propre civilisation était en train de s'écrouler comme le London Bridge de la chanson. »
Bryce, professeur veuf, être solitaire, en vient à douter avec lui, ajoutant à sa complicité, et par la même à le réconforter. Ainsi la synergie de ces pauvres hères, proches et incomparables à la fois, avec une bouteille de Gin, nous offre un spectacle flou, étrange, empreint de nostalgie, l'un pour les siens si lointains, l'autre pour un temps révolu; un spectacle, en somme, merveilleusement mélancolique. (En effet la présence de l'alcool est grande, relation qui semble apparente avec la vie de l'auteur elle même.)
« Il se leva avec lassitude et cilla. Une grande faiblesse le prit, - comme jamais depuis ce jour de novembre,où il s'était retrouvé malade, seul et effrayé dans un champ désert. »
Un deuxième qualificatif vient s'imposer à notre esprit devant l'Homme tombé du ciel. Celui de la gravité du propos, face à la question qui rongera Newton dès lors qu'il commencera à subir un désenchantement croissant : Sur la pertinence de sauver des êtres abjects, inférieurs, et absurdes. Comme Bryce exprimant son dégoût pour les singes au zoo, l'Anthéen est à l'étroit dans ce milieu arriéré, caustique même, puisque
Tevis
en viendra à dépeindre le côté sombre d'une humanité s'écroulant sereinement vers son anéantissement. Mais il ne connait toujours pas de réponse concluante, car après tout, « comment pouvait il en vouloir à des enfants? »Finalement, gravité et mélancolie ne sont pas sans s'entremêler, et même si on pourra y lire un message fataliste, le propos de fin, qui ne manque pas d'ambiguïté, pourra nous y faire entrevoir une note d'espoir. Certes, comme le mentionne Norman Spinrad dans son article sur la crise de transformation que toute espèce intelligente aura à subir lors de son évolution, l'humanité risque sa vie; mais Newton propose d'apporter une sagesse qui s'est elle même fondée sur l'expérience de cette crise, et propose alors une solution artificielle dont les Hommes ne pourront jamais en saisir toute la sagacité si ils ne l'ont pas eux même expérimentés. J'interprète cette fin comme une réaffirmation ultime de notre liberté, pour le meilleur et pour le pire, où notre salut ne viendra que d'une réflexion ébauchée par nous mêmes, même si celle ci se fait à nos dépens.
Le vieil oiseau frêle est tombé du ciel, a longtemps médité, et sa douce élégie, à défaut de s'être soldée en un idéal bien peu pragmatique, l'a transformé en le plus humain des humains.
« Newton eut un sourire plus étrange que jamais. Sa bouche, sous les lunettes et le chapeau, évoquait une ligne maladroitement dessinée, comme un dessin d'enfant. »