Sheckley
signe enfin son retour en force. Ce court volume de la collection Dyschroniques permet enfin à ce texte de paraitre dans un volume avec le nom de l'auteur, et se place d'emblée parmi les meilleurs de la collection, aux côtés, excusez du peu, d'Aldani, Andrevon ou Wilhelm.Paru en 1955, en pleine période faste de l'auteur, et traduit seulement en 1969,dans Fiction, il sera uniquement repris dans une antho autour de l'écologie, et ne sera jamais repris dans un recueil de nouvelles signé
Sheckley
.Nous sommes sur une planète indéterminée, que les humains entreprennent de pouvoir terraformer pour y accueillir le trop-plein des autres planètes déjà colonisées et vraisemblablement terraformées. La nature et les indigènes sont bien sûr totalement ignorés, seul compte l’intérêt économique supérieur de l'humanité, qui permet de s'accorder tous les droits au mépris de tout le reste, afin d'imposer ici comme ailleurs l'american way of life.
"Ce que la nature a mis un million d'années à construire, nous sommes capables de le détruire en un seul jour. Nous pouvons mettre en miettes cette belle montagne et la remplacer par une ville de ciment et d'acier pour un siècle !
[...]
Voici venu le grand Morrison qui videra la mer pour en faire un lac placide, qui aplanira les hauteurs et bâtira des routes à douze voies au complet, avec des chambres de repos en guise d'arbres, tables de pique-nique à la place des buissons, des restaurants comme rochers, des postes d'essence pour cavernes, des panneaux publicitaires pour remplacer les torrents et autres substitutions fantaisistes du demi-dieu Homme.'
La société multiplanétaire en charge du chantier a déjà de l'expérience en la matière, et l'affaire devrait donc se dérouler sans accroc.
Sauf qu'il n'en est rien : les engins de chantier sont inutilisables, le chantier prend du retard, et ce n'est que le début des ennuis. Est-ce qu'une bande d'habitants vivant à l'âge de pierre, à peine capables de tailler des silex seraient capables de saboter des machines capables de raser une immense montagne ?
On pense à Edward Abbey, et à son fameux gang qui sabote un chantier visant à raser une nature luxuriante pour y imposer l'american way of life/ Mais
Sheckley
a écrit cette excellente nouvelle bien avant, et se montre résolument précurseur, à l'image d'un Philip K. Dick dans sa critique de la société de consommation. Exprimer des convictions écolos dès les années 50,Sheckley
reprend d'ailleurs tout l'attirail de la sf de l'époque (technologies avancées, communication interplanétaire instantanée...) pour mieux le fracasser grâce à sa plume impitoyable.Sans aller jusqu'à parler d'ethnofiction (le texte est trop court et ne vise en rien cette approche), on peut néanmoins saluer un respect de ce que nous appelons aujourd'hui les peuples premiers, victimes de l'expansion économique qui menace leur environnement, au même titre que la planète.
Traduit tardivement, jamais repris dans un volume au nom de l'auteur, cet oubli est enfin réparé. Vous n'avez donc plus aucune excuse pour passer à côté de ce texte, et de sa chute redoutable !
Indispensable.