C'est Raymond Radiguet qui disait que qui voulait faire oeuvre originale ne devait surtout pas chercher à être original, mais à imiter les classiques, et que c'était dans la mesure où il n'y arrivait pas parfaitement qu'il faisait oeuvre originale. Avec Sylvie
Denis
, on est toujours sur un fil entre le déjà vu et le nouveau. Un exemple, qui je pense sera particulièrement flagrant pour Franz et autres dunomaniaques : [...]elle rêva qu'elle se réveillait couchée sur un lit de serpents. Dans ce rêve, [...] elle tendait le bras pour caresser l'un d'eux. Doux comme du velours, il s'enroula autour de son bras avec la souplesse d'une étoffe et la tiédeur d'une peau d'andromère. Lorsqu'elle pensa qu'on aurait pu coudre une jolie manche dans ce tissu, il fut rejoint par un compagnon de même couleur. Ils glissèrent sur son bras, l'un dessus et l'autre dessous, et se disposèrent de manière à ce que leurs corps plats se pressent bord à bord au point d'en devenir invisibles. A partir de cet instant, elle put leur communiquer tous ses désirs et leur faire faire tout ce qu'elle voulait. C'est comme ça souvent : l'auteure prend une image connue, en fait un clin d'oeil à ses lecteurs culturés, et la ré-utilise de façon méconnaissable, voire la renverse. Dans l'exemple que je viens de citer, la "peau de serpents" ne protègera pas du tout l'enfant, et ce n'est qu'une incidente dans l'histoire.La dimension politique, pour être parfois discrète, n'en est pas moins omniprésente : Les enfants souffraient et devenaient des adultes obtus, de petits singes mesquins et cruels dont l'ingéniosité ne savait plus s'appliquer qu'à une chose : leur survie, âpre, quotidienne et d'une stupidité infinie.
Quel gâchis.
Disposer d'individus et en faire des zombies parce que, pour exécuter leur travail, il aurait fallu construire des machines aussi intelligentes, aussi complexes qu'eux. Trop cher.
A ce propos, je vous recommande les extraits de la "Déclaration des droits des hommes libres et singuliers", en fin de volume.
Ce roman est foisonnant, mais l'une des questions qui le sous-tend est celle des "améliorations" apporté au "kit de base" humain, puisqu'il y a visiblement des bugs dans le gène du grand sommeil, avec endormissement aléatoire, difficulté à se réveiller... L'une des façons de vivre sa vie, si l'on veut, pourrait consister à dormir en se réveillant de loin en loin. C'est ce que font Kiris T. Kiris, la criminelle folle, et celui qui la poursuit, Gabriel Burke. Mais là où l'un a renoncé à sa vie, à force de se reposer sur les machines qui le servent, l'autre cherche frénétiquement comment elle pourrait vivre éternellement.
Roman sur l'usage de la science et de la technique, et sur la mort, thèmes qui étaient déjà abordés, de manière forcément très différente dans Haute Ecole, c'est une oeuvre fascinante, et on attend avec une grande impatience le deuxième volet !